vendredi 20 décembre 2013

L'Été des Sens (extrait, I)



S'il faut pour l'artiste, dans cet élan, mourir et, à genoux peut-être, errer dans la vaste plaine blanche, usant son âme sur le sol, multipliant les accrocs sur les épines dardées de la mélancolie, alors soit ! Qu'importe, si dans ce calvaire morne et long, et dans le cri nouveau, naïf, des anges perdus là-bas, dans la brume, il peut y avoir, entre ciel et terre, un instant arraché au fleuve, un morceau d'éternité, un défi comme un gant jeté à la mort, seconde, fraction suspendue, temps hésitant, victoire et extase, refuge d'orgueil – être et avoir senti qu'on est, fût-ce hors de soi, puisque les eaux du Styx reculent devant le pied mutin, finement cambré, d'une Muse -, miracle de la beauté jetée comme un pont par delà les néants, au delà même des hommes et des Dieux.

Paroles, et les mots toujours semblables à ce brouillard qui fuira dans l'aube du dernier jour, chassé par le vent du dernier matin ; monte le soleil, et étonnement, les terres encore, scintillantes de givre, diamants parsemés sur l'herbe pâle, collier éphémère des vivantes étendues – mais celles-ci ne sont pas vivantes, parure immortelle (gelé est le fleuve, point de printemps dans le crépuscule éternel du dernier jour).

Avant cela, enfant, la Vie. Et, qui sait, peut-être, que ce soit dans les vapeurs trop fétides des marécages, dans les champs irradiés de varech ou sur les hauts pics des gratteurs de ciel, encore quelques-uns – des mots autres, plus sincères et plus vrais, frissonnant sous la brise, corolles de craintes et d'espoirs jamais connus, jamais vus, renaissances -, espère-le !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire