Au poète exilé et majestueux cependant, maître s'il en fut, Edgar A. Poe.
C'était un personnage étrange, atypique jusqu'au cliché, que cet homme. Que dire d'autre pour le résumer, que ces mots : il était un enfant de la nuit ?
C'était un personnage étrange, atypique jusqu'au cliché, que cet homme. Que dire d'autre pour le résumer, que ces mots : il était un enfant de la nuit ?
Cela
faisait, en effet, toute la dualité de sa personnalité. De jour,
gauche, maladroit, presque laid, il semblait empêtré dans ses
idées, agacé continuellement par ses semblables, nerveux, mal à
l'aise ; tout en lui dégageait l'impression d'un être qui
n'était pas à sa place. Je le vis, lorsque je le croisai pour la
première fois, comme un de ces misanthropes qui, condamnés à vivre
parmi les hommes, sont semblables à cet albatros que dépeignait
Baudelaire ; ici-bas, enchaînés à notre siècle, leurs ailes
taillées pour l'azur infini leur sont un pesant fardeau. Et, de
fait, il était bien ridicule, avec sa démarche empruntée, ses
frusques sombres, sous lesquelles il étouffait, en cette tiède
journée de mars : ses bottines de cuir, son long manteau épais,
semblaient issues d'un autre temps. Sous sa peau fine, le sang
montait au visage, lui donnant une teinte écarlate, sur laquelle
ressortaient, éclatant et comique jeu de pastels, ses cheveux, longs
et blonds, de ce blond normand, qui a la teinte des blés mûrs,
lorsque, courbés sous le vent, ils offrent leur nuque aux lueurs du
soleil automnal. Ses yeux, eux, démentaient tout ce spectacle ;
et si l'on était tenté de rire de ce jeune homme, il suffisait de
croiser son regard pour que cette envie disparaisse. Oscillant entre
le brun et le vert sombre de l'opaline, selon ses humeurs, ils
avaient en leur centre une corolle orangée, couleur de flamme, qui
semblait, lorsqu'il regardait au loin, s'agrandir, gonfler sous ses
sourcils arqués, et, pour un instant, dévoilait la nature profonde
de cet infatigable observateur. Vous fixait-il, il eût plutôt
semblé qu'il vous déshabillait, vous violait l'âme de part en
part, et, cette opération finie, un bref éclat de mépris passait
dans ses prunelles, qui, aussitôt, se détournaient de vous, comme
un fauve rejette, dédaigneux, la proie trop maigre qui lui est
tombée entre les griffes.
Mais
ces brefs instants, où se révélait le fond de son être, étaient
par trop rares, et, la plus grande partie du temps, son œil se
perdait dans le vague, dans la contemplation mélancolique d'une
terre terre trop lointaine, ce trait de caractère auquel l'on
reconnaît les exilés, que leur exil soit physique ou, comme cet
homme-ci, d'ordre moral, cas auquel la douleur est plus déchirante
encore, car il n'y a alors nul espoir ! Et, pis encore, il n'y a
pas même, pour ceux-là, de souvenirs de la patrie aimée, car c'est
d'un monde autre qu'ils ont été chassés, et ce avant même de
naître !
Qu'il fût un être hors de son siècle, je le compris, non cette fois-ci, mais lorsque je le vis dans son élément naturel, dans ces heures qui le transfiguraient, faisaient de cet être presque burlesque un homme grand, transformation que jamais, quelles qu'en soient les conditions et les circonstances, je n'ai vu plus marquée chez qui que ce soit d'autre. C'était son ciel, à cet oiseau ; et, lorsqu'on l'y voyait, les ailes déployées, on ne pouvait s'empêcher, par comparaison, de se sentir singulièrement diurne.
Évidemment, cet élément, c'était la nuit : la nuit, pour d'autres effrayante, pour lui amie, protectrice ; la nuit et ses ombres, que d'aucuns craignent, auxquelles il parlait, lui, comme à des connaissances de longue date, habitant familier des ténèbres, il l'était tant qu'on eût cru qu'il avait grandi entouré de spectres et de fantômes, ou que coulait dans son sang l'héritage lointain, revenu à la surface dans ses gènes, par quelque mystérieuse combinaison, d'un hypothétique ancêtre aux dents trop longues, au goût prononcé pour le sang et l'obscurité, cette naturelle complice de tous les crimes.
Qu'il fût un être hors de son siècle, je le compris, non cette fois-ci, mais lorsque je le vis dans son élément naturel, dans ces heures qui le transfiguraient, faisaient de cet être presque burlesque un homme grand, transformation que jamais, quelles qu'en soient les conditions et les circonstances, je n'ai vu plus marquée chez qui que ce soit d'autre. C'était son ciel, à cet oiseau ; et, lorsqu'on l'y voyait, les ailes déployées, on ne pouvait s'empêcher, par comparaison, de se sentir singulièrement diurne.
Évidemment, cet élément, c'était la nuit : la nuit, pour d'autres effrayante, pour lui amie, protectrice ; la nuit et ses ombres, que d'aucuns craignent, auxquelles il parlait, lui, comme à des connaissances de longue date, habitant familier des ténèbres, il l'était tant qu'on eût cru qu'il avait grandi entouré de spectres et de fantômes, ou que coulait dans son sang l'héritage lointain, revenu à la surface dans ses gènes, par quelque mystérieuse combinaison, d'un hypothétique ancêtre aux dents trop longues, au goût prononcé pour le sang et l'obscurité, cette naturelle complice de tous les crimes.
Il
était alors tout autre. Sa taille brisée se redressait de toute sa
hauteur ; altière, sa tête se levait, son front, dégagé de
tout nuage, se montrait, haut et pur. Un regain d'énergie
l'emplissait ; d'embarrassé et malhabile, il devenait souple et
vif, majestueux dans sa façon de frapper le pavé d'un pas
autoritaire. On sentait alors ce que naguère Dumas appelait « les
cœurs bleus », référant à ces êtres qui, s'ils n'ont pas
le « sang bleu », sont indubitablement nés pour
commander ou créer, plier les hommes ou les Muses, marchant, pleins
de morgue, sur les lois et les traditions comme sur les autres
hommes, qui ne sont à leurs yeux qu'un décor : et, comme ils
ne se sentent pas de jouer le rôle qu'on leur propose, ils
improvisent, bouleversant la pièce jouée autour d'eux, déchaînant
les fureurs du public sur l'instant, et, trop souvent, ce n'est que
plusieurs générations plus tard qu'est reconnu leur génie et leur
verve. Qu'il soit de ceux-ci, nul doute là-dessus. Si vous l'aviez,
d'aventure, entendu, marchant à côté de vous dans les rues
désertes, exposer, de sa voix grave, caressante et profonde, une
voix qui, avant même que vous ne vous en rendissiez compte, enrobait
votre volonté d'une brume envoûtante, paralysante, ses idées sur
l'Art, le monde et les hommes, vous eussiez été, comme moi, conquis
en quelques mots, sans avoir seulement opposé de résistance. Il
vous disait tout cela d'un air si certain, en des termes si fluides,
prenant d'une main si familière le firmament lui-même à témoin,
comme l'on inviterait un ami proche à vous appuyer de ses arguments,
qu'on ne pouvait piper mot ; et, dépassé par ces visions trop
grandes, trop larges, trop vastes, des temps passés ou futurs,
toujours planant sur les opinion les plus couramment acceptées,
indifférentes à toutes les idées reçues, à la morale comme à la
science, à Dieu comme au Diable, on se sentait, lorsqu'il s'en
allait, à l'aube, infiniment dérangé, et l'on tentait de se
débarrasser de ces paroles comme d'un brouillard malsain, l'on
secouait alors la tête, comme pour se convaincre du ridicule, de
l'impossible de ce qu'il avait dit ! Mais le doute, le terrible
doute, ne vous quittait plus, et il avait fait naître, homme
improbable, sa voix fine, incessante, irritante sous bien des crânes,
et ce sans en avoir l'air, et peut-être même sans le savoir !
Comme
tous les côtés sublimes de son âme, sa passion, son seul amour, ne
se réveillait que de nuit. Il était écrivain ; il se disait
lui-même un simple scribouillard trop plein d'orgueil, mais
incapable de s'arrêter de griffonner, et souvent il en riait, de cet
attachement sans bornes, religieux, à l'art qui l'avait sauvé, qui
avait été sa bouée de sauvetage dans les pires tourments du dépit
et du désespoir, de la misère et du fatalisme, de la souffrance et
de l'humiliation, et cela depuis son plus jeune âge. Impérieux et
intransigeant avec lui-même comme avec autrui, et même plus sans
doute, il n'avait laissé survivre de ces années de productions
ininterrompues que quelques ouvrages, publiés au hasard d'une
période où la nécessité l'avait poussé à mettre de côté son
orgueil, ou d'un ami qui l'avait poussé, presque forcé, à envoyer
son manuscrit à un éditeur. Ces livres, remarquables par leur
personnalité, distincte, détachée du nuage de romans qui
paraissent chaque jour, n'avaient pas eu un immense succès,
quoiqu'ayant réalisé des ventes raisonnables, et bénéficié du
soutien de quelques critiques littéraires dans les plus fins – et
les moins lus, l'un entraînant l'autre. Une chose, en tout cas,
transparaissait dans chaque ligne de cet ouvrage : il était
artiste jusqu'au bout des ongles, pleinement, totalement, éperdument
amoureux de sa plume.
Mais
venons-en au fait. Je n'ai pris le temps de décrire cet homme pour
que vous puissiez saisir comment je me suis retrouvé entraîné avec
lui dans l'aventure que je tenais à vous raconter. Cette aventure,
la voici.
C'était
un jeudi soir, en hiver, l'avant-veille des congés de Noël ;
je me dirigeais d'un pas vif, pressé par le froid mordant qui règne
dans les rues de Verdun à cette époque de l'année, vers
l'appartement de l'ami dont il est question ci-dessus. À cette
époque, nous nous connaissions depuis quelques mois déjà. Il
s'était, pour une raison inconnue, attaché à moi, dans la mesure
où les hommes de cette trempe peuvent s'attacher, et moi, de mon
côté, je n'avais vu que du bon à tirer d'une amitié avec un
gaillard pareil, à sa façon fort sympathique, quand vous étiez de
ses intimes. Ce jour-là, il m'avait invité à passer chez lui, si
j'avais quelques heures à lui sacrifier ; il comptait,
disait-il, aller visiter un endroit à ses yeux prodigieusement
intéressant, ce qui équivalait,
venant de lui, à promettre à tout le moins une ruine gréco-romaine
inédite, ou quelque fascinant et mystérieux temple souterrain,
enfoui à deux cent mètres sous le sol de la ville. Bref, je
m'attendais à tout, et, ma curiosité excitée me poussait à
doublement me hâter.
En
arrivant chez lui, je frappai à la porte. Aucune espèce de réponse
ne me parvenant, je recommençai, plus fort cette fois-ci. Après
quelques minutes de ce manège, j'entendis une voix bourrue,
indubitablement énervée, s'enquérir de l'identité de l'importun
qui osait venir le déranger dans son travail. J'en conclus, ce qui
ne m'étonna qu'à peine, car comme tous les génies, il était d'un
naturel très oublieux quand aux choses de tous les jours, qu'il ne
se souvenait plus m'avoir invité à venir chez lui. Je déclinai mon
identité à travers l'épais bois de la porte ; sans doute cela
lui rappela-t-il quelque chose, car j'entendis un raffut indistinct,
suivi du craquement de verrous que l'on fait coulisser. Passant de
profil par l'embrasure dégagée, je vis mon ami, rassis à son
bureau, grattant nerveusement une feuille de papier.
-
Excuse-moi, j'avais oublié que tu devais passer. Je suis à toi dans
cinq minutes ; juste le temps de mettre un terme à cette
nouvelle. Sers-toi un verre, en attendant : tu sais où est le
bar.
Non
seulement je savais où était le bar, mais, de plus, je le regardais
comme l'un des plus grands trésors dionysiens qu'il m'ait jamais été
donné de voir. Comme Baudelaire, Rimbaud, Maupassant, et tant
d'autres de ses illustres prédécesseurs, ce poète était dévoré
par le démon de l'alcool, et, ce qui ne gâche rien, il y mettait un
indiscutable goût. Je pris donc tout mon temps pour choisir entre
les vins de Porto, les Tokays, les rhums bruns et blanc, les whiskeys
tous Single Malt et
autres délectables liqueurs. J'optai finalement pour un doigt de
Bénédictine, cet alcool dont il m'avait raconté l'incroyable
histoire. Créé par Alexandre le Grand lui-même, à base de plantes
et de liqueurs découvertes durant ses campagnes, il avait été
remis au goût du jour, des siècles plus tard, par les moines du
même nom, qui en avaient sans doute retrouvé la recette chez Arrien
ou Plutarque. C'est un alcool doux, aux senteurs de gentiane et de
corsicone, qui évoque parfaitement le parfum des collines boisées
de Macédoine, mêlé aux saveurs capiteuses de l'Inde.
Armé
de mon verre, je m'assis près de la fenêtre, dans un fauteuil dont
les ressorts brisés et le velours qui tombait par endroits, comme le
pelage d'un chien galeux, n'ôtaient rien au confort ; je tirai
mon paquet de cigarettes de ma poche, et, en allumant une, je me mis
en devoir d'attendre.
Je
fus réveillé par la poigne vigoureuse de mon ami, qui me secouait
l'épaule sans aucune délicatesse. Je m'étais donc endormi ?
Quelle heure était-il ? Je n'eus pas le loisir de réfléchir
plus avant à tout cela. Impérieux comme toujours, déjà il me
jetait dans les bras mon manteau, mes gants et mon écharpe, et,
habillé de pied en cap lui-même, il ouvrait la porte et se jetait
dans les escaliers. Pestant contre mon incroyable capacité à
m'assoupir n'importe où et n'importe quand, je courus à sa suite,
manquant de peu de me briser dix fois la nuque, tandis que, sautant
les marches quatre à quatre, je tentais la périlleuse opération
d'enfiler ma veste sans m'arrêter.
Nous
naviguâmes à travers un long dédale de rues ; il m'entraînait
dans un coin de la ville que je ne connaissais pas du tout, mais qui
semblait de plus en plus désert à mesure que nous progressions. Ici
et là, des immeubles de brique rouge, à l'abandon depuis des
décennies, à voir les fissures qui lézardaient les murs, les
fenêtres toutes brisées, sans exception, dressaient leur
fantomatique silhouette sur des terrains obscurs, décomposant par
mille ouvertures la lumière de la lune, animant des figures
spectrales dans les ombres de leurs couloirs à nu. Je ne me sentais
pas à l'aise. Non que je sois superstitieux, mais il reste en moi
cette part pré-historique de l'homme, qui ne savait pas alors
quelles terreurs pouvait dissimuler la nuit dans ses plis, et que
cette ignorance autorisait à tout supposer.
Finalement,
nous nous arrêtâmes, aux confins de la ville, devant une haute
maison de pierre, qui avait du, bien longtemps auparavant, connaître
son heure de gloire, à en juger de par les ornementations de la
façade, le balcon de fer forgé, les fenêtres imitées du style
gothique, se finissant en arc brisé, auxquelles ne manquaient que
les vitraux. Mais, aujourd'hui, elle était à n'en pas douter
inhabitée, quoique, bizarrerie que je notai sur l'instant, sans y
attacher d'importance, elle ait été épargnée, comme à dessein,
par les outrages des hommes. Ici, pas de fenêtres brisées ;
quoique ternies, elles n'avaient pas quitté leurs montures. La porte
était encore là, solide et imposante, se dressant comme un gardien,
dans la majesté du chêne travaillé par une main habile. Je ne pus
retenir un frisson au niveau de l'échine, en songeant que nous
allions entrer là-dedans, alors qu'il était – je venais de
consulter ma montre – près de deux heures du matin. Mais comment
reculer, devant l'inévitable coup d’œil méprisant que me
jetterait, impitoyable envers toute lâcheté, mon compagnon ?
D'ailleurs, ma curiosité égalait ma crainte, et, ces deux raisons
se complétant, je le suivis d'un pas qui se voulait hardi, alors
qu'il venait de pousser le battant.
Arrivé
à l'intérieur, je faillis m'enfuir, en découvrant le spectacle qui
s'offrait à mes yeux. Un
corridor sombre, fantomatique, se déroulait devant moi. Un lustre,
suspendu en son centre, me fit, dans son irréelle blancheur, l'effet
d'un revenant qui agiterait spasmodiquement ses bras de brume Les
renfoncements qui s'ouvraient sur les pièces du rez de chaussée
vous donnaient à penser que dans chacun d'eux, était tapi,
attendant une proie que je ne constituais que trop bien, l'une ou
l'autre de ces terreurs d'enfance : ici un monstre, là un
assassin, dans le troisième, pourquoi pas, une chouette effraie qui,
animée d'une volonté diabolique, m'arracherait les yeux de ses
serres perçantes. Il me fallut rassembler tout mon courage pour
parvenir jusqu'au bout de ce couloir, et grimper une à une les
marches vermoulues de l'escalier qui le finissait, arrachant à
chaque pas un grincement terrifiant qui, en se répercutant d'un mur
à l'autre, ressemblait à un cri indigné qu'aurait poussé la
vieille demeure, révoltée de voir des étrangers se glissant
insidieusement dans les appartements des maîtres, sans personne pour
les en empêcher.
Arrivé
au palier du premier étage, courant presque, je donnai de la tête
contre la poitrine de mon ami, contact qui m'arracha un petit cri
d'effroi, ce dont j'eus aussitôt honte, car lui, imperturbable,
semblait se moquer de moi, et ses yeux, seuls visibles dans la
pénombre, brillaient de malice. D'une voix ironique, il m'invita à
venir prendre place dans le
coin extérieur de ce qui, à en juger de par son extravagante
dimension, avait dû autrefois être un salon, que seuls peuplaient
encore deux fauteuils au grabat décrépit, tout poussiéreux, mais,
ma foi ! encore plus agréables que le sol, jonché de lambeaux
de plâtre. Poussant ces deux fauteuils vers notre poste de guet, il
prit place dans l'un d'eux, et, les yeux mi-clos, sembla se statufier
dans cette position. Je mourais d'envie de lui demander ce que nous
faisions là, et combien de temps il nous faudrait attendre –
d'ailleurs, qu'attendions-nous ? Mais, sachant qu'il ne piperait
mot avant que de l'avoir décidé, je me tins coi, et je l'imitai,
quoique j'eusse bien trop peur pour oser fermer les yeux.
Je
ne sais pas combien de temps nous attendîmes là, sans bouger,
silencieux comme dans un sépulcre, lui, plongé dans quelque
méditation, et moi, craignant trop de briser le silence, retenant
presque mon souffle sous la pensée que, si je commettais pareil
sacrilège, des spectres, sortant des parois, viendraient tirer
vengeance de mon impudence. Cependant, il devait s'être écoulé une
demi-heure environ lorsque, sortant de sa torpeur, il me saisit le
bras, m'indiquant d'un geste muet que ce que nous attendions
arrivait. Je tendis l'oreille, et ne discernait rien, sinon, au loin
comme un battement d'ailes – bah ! quelque pigeon, sans doute.
Pourtant,
ce battement d'ailes se faisait croissant, et indiquait, de par son
ampleur frémissante, un volatile de taille autrement plus imposante.
Mon énigmatique compagnon mit son doigt sur ses lèvres, et, m'ayant
ainsi intimé de ne pas proférer un son, attendit l'événement avec
une face quasi-extatique, comme un communiant l'hostie.
A
ce moment, dans un lourd bruissement de plumes, une forme noire, à
l'envergure immense, fit son entrée par la fenêtre. Je fus cloué
au fond de mon siège par une terreur sans nom. À compter de cet
instant, le reste de la scène se déroula comme dans un rêve ;
je ne pouvais bouger d'un cil, et, les yeux écarquillés, je ne
perdis pas une miette du spectacle qui se déroulait sous mes yeux.
Le
corbeau – car c'était un corbeau, mais de dimensions
monstrueuses ! - plana jusqu'à l'autre extrémité de la pièce,
où il se percha à son aise, sur les débris d'un chevalet de bois.
Se levant, mon ami s'approcha de
l'effrayant plumitif, lequel
darda sur l'imprudent qui venait troubler ses pénates un œil
furieux. Commença alors une scène fantastique.
Entamant
un discours dans une langue inconnue, aux sonorités slaves, il
s'approcha de plus en plus de l'oiseau, qu'étrangement, ce discours
semblait apaiser – à vrai dire, j'eusse à peine été étonné de
le voir lui répondre ! -, chose dont il me donna l'explication,
le lendemain, quand, remis de mes émotions, je vins quêter chez lui
quelques éclaircissements.
Mais
là, subitement, ce satané volatile jeta un regard torve sur moi et,
déployant ses ailes, il fondit, serres en avant, en ma direction !
Ici,
vous m'excuserez, mais il vous faudra finir cette nouvelle par
vous-mêmes ; la fatigue me prit subitement, et je me suis pas
senti l'envie depuis de m'y ré-atteler.