L'homme
des dernières montagnes, opuscule
descendant,
lentement, sous le clair crépuscule,
vers
les rivages du temps, sable des siècles en fumée
pas
hésitant, trébuche, sur les rocs de ses mémoires
trop
pesantes, trop lointaines pour que sa main les atteigne
C'est
à genoux qu'il rampe, dans le sang des serpents,
dans
le sang du doute, dans le sang de la peur
fleuve
qui coule, remous de rage étoilée,
seule
la lune est absente, seule elle a fui, sans pitié,
cette
terrible nuit, lorsque mon âme, amenée
non
loin d'ici, a croisé au détour d'un sentier
de
verdure recouvert, l'esprit d'un ancien damné
qui
m'a dit, tête haute, fixant de toutes ses orbites creuses
le
firmament rouge et noir, les cimes écrasées
"toi,
qui rampes, toi l'enfant des putains affreuses,
toi,
le fils des souffrances, toi, la fille des vents
j'ai
vu ta naissance, près de la flamme, près du foyer
près
des joies mourantes, près des cadavres hurlants,
j'ai
vu le signe sur ton front d'enfant, pur encore , noyé
de
la bête qui ronge, de la bête qui crie au lucre ;
j'ai
vu les corps révulsés, les chairs dévastées
criant
dans la luxure, roulés dans le stupre"
Lentement
lors j'ai senti les stigmates, stupeur
poussière
j'étais, aux cendres je retournerai
le
feu qui dévore ne vient ni d'ici, ni d'ailleurs
et
ni l'eau, ni la terre, ne peuvent l'éteindre
et
ni tes bras, ni tes rêves, ne peuvent m'étreindre
seulement,
tu peux, fille des poètes, enfant des saisons,
regarder,
dans le ciel, cette étoile qui file
sur
la toile du ciel une jactée d'horizon
et
peut-être pleurer la perte de cet asile
que
tu n'as jamais eu ; ce fantôme sans tombe
tant
et tant baisé, tant aimé, dans un lit de hêtre,
de
fureur et de sang, dans les catacombes
d'espoirs
d'amour effacés avant de naître
rien
de nouveau sous les sombres soleils muscardins
sinon
cette façon inédite d'arranger en mon jardin
de
cadavres jonché les corps épars, un jeune écart
entre
deux bras, entre deux cuisses ; rien que...
Rien
que, mais ça n'est pas juste que...
ça
n'est pas, petit ensanglanté, petit enragé,
ces
gueules béantes, crachant la lave orangée
répandant
l'enfer, jetant la houille et la suie
ça
n'est pas ces noirs poumons d'acier matés
-
voluptés, tes yeux suivant les envols volutés -
qui
t'ont fait d'eau, de terre et d'amour
qui
t'ont appris à jeter tes fers, à te lever pour
deux
reflets de ciel fixés sur toi, deux mains
tendues
vers les tiennes, deux lèvres, deux seins
qui
ne demandaient qu'à hurler dans la joie
qui
ne demandaient qu'à avoir foi en toi
Que,
pauvre con, tu as jetés dans cet enfer
de
pierre et de nuit, de chaînes et de fers
crois-tu
que ceux qui viennent sous son cœur
naîtront
sans crier dans ton usine-monde
que
ceux qui verront le soleil des saveurs
de
peau et de chair, de chants sans ondes
n'arracheront
pas l'habit gris des nuages
pour
y remettre le manteau sans âge
des
rêves d'autrefois, des rêves laissés,
reviendront
arrière, jadis, c'était assez
jaloux
– tu ne savais pas monter encore,
des
montagnes tu as brisé les grands corps
sans
réussir à refaire autre chose, plus, moins
qu'un
tas de briques, sans cime et sans neiges
d'où
tu ne voyais ni les dieux ni... que sais-je ?..
ce
que toi, aveugle, tu as vu derrière tes tours
d'acier,
je n'en vois rien tout à l'entour
de
ma tour d'ivoire, de mon grand oiseau argenté
un
jour pourtant, je l'enfourcherai, et je m'en irai
vers
le bout de la nuit, un soir, sans hésiter
et
toi, aveugle, tu me verras pourtant mort
comme
si les rêves se couchaient entre tes corps
comme
si nous étions égaux dans le sort
Jérôme, 22 février