mardi 25 février 2014

Au matin l'espoir...


Au matin l'espoir...



Où est le gardien, où le flambeau qui me guide ?
De mes paroles, vers mesurés, puis oubliés
Ne restent, tout seuls, que de grands fracas stupides.
Où le chemin, où donc les destins jadis liés ?

Ce n'est pas ce jeune vieil homme chancelant
Ni ces paumes toutes ouvertes, tendues avides ;
Quelque chose, plutôt, comme ces beaux bras blancs,
Comme le reflet vu dans tes grands yeux livides.

Grands yeux ! Ils sont clos, désormais, à tout jamais,
Barrière fermée, sur les champs de nos bonheurs
Manteau ramené, je dors dans leurs fossés – mais !
Regard furtif, regard volé – mémoires d'heures

Deçà les hautes herbes, derrière la cloison
Il me semble ici voir encore une jolie fleur.
Peut-être, quand reviendra la belle saison
Te retrouverai-je, escortée d'oiseaux flatteurs

Et, dans le ciel l'identique nouveau soleil
Éclairera les mêmes joies, les mêmes rires
Loin de la lampe qui peine, pâle, triste et vieille
Loin du grabat, loin des solitaires soupirs.


Jérôme, 25 février 2014

samedi 22 février 2014

Jet


L'homme des dernières montagnes, opuscule
descendant, lentement, sous le clair crépuscule,
vers les rivages du temps, sable des siècles en fumée
pas hésitant, trébuche, sur les rocs de ses mémoires
trop pesantes, trop lointaines pour que sa main les atteigne

C'est à genoux qu'il rampe, dans le sang des serpents,
dans le sang du doute, dans le sang de la peur
fleuve qui coule, remous de rage étoilée,
seule la lune est absente, seule elle a fui, sans pitié,
cette terrible nuit, lorsque mon âme, amenée
non loin d'ici, a croisé au détour d'un sentier
de verdure recouvert, l'esprit d'un ancien damné

qui m'a dit, tête haute, fixant de toutes ses orbites creuses
le firmament rouge et noir, les cimes écrasées
"toi, qui rampes, toi l'enfant des putains affreuses,
toi, le fils des souffrances, toi, la fille des vents
j'ai vu ta naissance, près de la flamme, près du foyer
près des joies mourantes, près des cadavres hurlants,
j'ai vu le signe sur ton front d'enfant, pur encore , noyé
de la bête qui ronge, de la bête qui crie au lucre ;
j'ai vu les corps révulsés, les chairs dévastées
criant dans la luxure, roulés dans le stupre"

Lentement lors j'ai senti les stigmates, stupeur
poussière j'étais, aux cendres je retournerai
le feu qui dévore ne vient ni d'ici, ni d'ailleurs
et ni l'eau, ni la terre, ne peuvent l'éteindre
et ni tes bras, ni tes rêves, ne peuvent m'étreindre
seulement, tu peux, fille des poètes, enfant des saisons,
regarder, dans le ciel, cette étoile qui file
sur la toile du ciel une jactée d'horizon
et peut-être pleurer la perte de cet asile
que tu n'as jamais eu ; ce fantôme sans tombe
tant et tant baisé, tant aimé, dans un lit de hêtre,
de fureur et de sang, dans les catacombes
d'espoirs d'amour effacés avant de naître

rien de nouveau sous les sombres soleils muscardins
sinon cette façon inédite d'arranger en mon jardin
de cadavres jonché les corps épars, un jeune écart
entre deux bras, entre deux cuisses ; rien que...

Rien que, mais ça n'est pas juste que...
ça n'est pas, petit ensanglanté, petit enragé,
ces gueules béantes, crachant la lave orangée
répandant l'enfer, jetant la houille et la suie
ça n'est pas ces noirs poumons d'acier matés
- voluptés, tes yeux suivant les envols volutés -
qui t'ont fait d'eau, de terre et d'amour
qui t'ont appris à jeter tes fers, à te lever pour
deux reflets de ciel fixés sur toi, deux mains
tendues vers les tiennes, deux lèvres, deux seins
qui ne demandaient qu'à hurler dans la joie
qui ne demandaient qu'à avoir foi en toi

Que, pauvre con, tu as jetés dans cet enfer
de pierre et de nuit, de chaînes et de fers
crois-tu que ceux qui viennent sous son cœur
naîtront sans crier dans ton usine-monde
que ceux qui verront le soleil des saveurs
de peau et de chair, de chants sans ondes
n'arracheront pas l'habit gris des nuages
pour y remettre le manteau sans âge
des rêves d'autrefois, des rêves laissés,
reviendront arrière, jadis, c'était assez
jaloux – tu ne savais pas monter encore,
des montagnes tu as brisé les grands corps
sans réussir à refaire autre chose, plus, moins
qu'un tas de briques, sans cime et sans neiges
d'où tu ne voyais ni les dieux ni... que sais-je ?..

ce que toi, aveugle, tu as vu derrière tes tours
d'acier, je n'en vois rien tout à l'entour
de ma tour d'ivoire, de mon grand oiseau argenté
un jour pourtant, je l'enfourcherai, et je m'en irai
vers le bout de la nuit, un soir, sans hésiter
et toi, aveugle, tu me verras pourtant mort
comme si les rêves se couchaient entre tes corps
comme si nous étions égaux dans le sort



 Jérôme, 22 février

dimanche 16 février 2014

Le Nord

Chaque voyageur l'a déjà vu.
Elle se tient, immense, sur le bord
De ce grand chemin vers le nord,
Accueuillant les marcheurs abattus.

Passez sa porte et vous verrez,
Tout un peuple autour du foyer.

Il y a celui qui regrette le sud,
L'insouciance du temps qui s'écoule,
Sur les paysages de quiétude
Qui bercent et protègent les foules.

À la fenêtre, on guette vers l'est,
Croyant apercevoir au loin,
Les grandes montagnes célèstes,
La tendre douceur des matins.

Lui, aussi, qui rêve de l'ouest,
Des ses mers déchainées, rageuses,
Qui sont toutes un destin funeste,
Une mort si aventureuse.

Tout ceux-là, bien loin de chez eux,
Rêvent de fuir la voie du Nord.
Le reflet du feu dans leurs yeux,
Ne peut cacher leur petite mort.

samedi 15 février 2014

Locomotiv

Un locomotive sans wagons
Émerge sur un quai désert.
Terminus, en face de la mer,
Des vagues et des nuages qui grondent.

Le feu de ses entrailles s'apaise,
Tisse un léger voile de fumée.
Mais s'éteint la dernière des braises,
Laissant la rosée retomber.

C'est l'aurore, le ciel est violet,
Comme ces fleurs des champs si banales.
Qui montrent aux rails leurs belles pétales,
Défiant les monstres d'acier.

La locomotive redémarre,
Pour foncer dans des villes hurlantes
Dévoré par une tourbière brûlante.
Par la compagnie des cauchemars.

Des fois, elle voudrait être fondue,
Pour être transformée en rail.
Pouvoir observer le détail,
D'une petite violette perdue.

vendredi 14 février 2014

Le vieil homme et la terre



Le vieil homme et la terre





La nuit brillait au-dehors lorsqu'il ouvrit les yeux. Elle était venue le caresser dans son lit, et de sa main lustrée elle avait cogné contre son cœur endormi, comme pour lui délivrer un message. Ce message, il le savait confusément, c'était l'appel des bois, et de l'air frais qui couvrait le plateau, et des odeurs qui étaient figées dans les rameaux des arbres.

Il se leva presque aussitôt, parce qu'il était trop vieux pour s'offrir le luxe de remettre au lendemain cet appel, et parce qu'il pressentait comme le bourgeon d'un espoir entre les silencieux murmures. Quelque chose en lui attendait depuis toujours un instant semblable à celui-ci, un de ces instants comme on peut n'en jamais croiser dans une vie entière, et il importait peu qu'il vienne, tardif, au crépuscule, puisqu'il pouvait jeter de la lumière aussi bien sur son passé que sur son présent. Rejetant de côté la couverture de laine, il enfila lentement le pantalon de toile usé, puis les hautes chaussettes, puis la chemise de coutil, où était inscrite, entre les taches et les accrocs, toute l'histoire des années de labeur – il aimait à porter franchement, sur sa poitrine, ce long récit.

Ses os craquèrent, comme une branche d'arbre sous le vent, quand il se redressa de toute sa haute taille, et ses cheveux gris frôlaient les poutres qui couraient au plafond. Il les enserra entre ses mains, larges et vigoureuses encore, pour sentir le souvenir de la sève, dans ces vaisseaux asséchés longtemps auparavant, et qui pourtant vivaient encore. Il se demandait si, lorsque ses os reposeraient dans la terre, il se souviendrait aussi du sang qui avait couru un temps en lui.

Aussitôt la porte franchie, il aspira longuement, avec délices, le souffle calme de la nuit. Il se sentait mieux d'avoir moins de son air d'humain en lui, et plus de cet air-là, noir et riche, qui roulait en fracas de tonnerre dans ses poumons, et il lui semblait que s'il pouvait n'être plein que de cela, il se fondrait dans la nuit, et comme elle il deviendrait invisible, infini et éternel, tournant folâtre autour du globe, portant en son sein le silence des sages et les étincelles qui dansent dans les yeux des jeunes filles.

En étendant la main droite, sans regarder, il toucha le bois de l'araire, qui dormait là, et il la sentit frémir dans son réveil – et elle aussi devait avoir reçu le message, car elle tendit aussitôt ses muscles noueux, pleine de bonne volonté et de l'envie d'aimer la terre en larges sillons noirs et gras.

« – Bonne bête... » et il la flatta du plat de la main, comme on flatte les naseaux d'un bel étalon, quand il hennit, plein de joie, vers l'horizon lointain.


Ils se mirent tous deux au travail, un travail fait de caresses qui passaient des mains de l'homme au soc d'acier noir, et du soc à la terre, qui s'entrouvrait en gémissant doucement. De cette façon, lentement et régulièrement, ils tracèrent sept sillons, chacun de cinquante pas de long, et c'étaient autant de sourires sous le regard pensif des étoiles. Le vieil homme, cependant, laissait ses bras faire le travail – ils le savaient mieux que lui –, et il tournait son regard là-haut, vers la forêt, plein d'espérance, car il avait entendu quelques saccades dans les trilles des rossignols, et deux ou trois fausses notes dans les halètements des arbres, et il savait que quelqu'un venait.

Tout à coup, il apparut (comme s'il avait déjà été là, depuis longtemps, et qu'il n'avait fait que se rendre visible), debout, au bout des sillons, à la lisière du champ, dressé majestueusement devant l'orée des bois. C'était une haute silhouette flottante, aux contours indécis, douce et profonde comme une ombre, et, à le voir, on sentait que cet homme-là s'était longtemps rempli de l'air de la nuit, et qu'il connaissait beaucoup de ses secrets.

Il marcha vers le vieillard, déployant à chaque pas toute l'étendue de sa grâce et de sa force, s'enfonçant à peine dans le sol puis remontant aussitôt, comme une frégate racée court sur les vagues, et, à le voir, le vieil homme sentait encore plus lourdement le poids de son âge et de sa peine.

Quandil ne fut plus qu'à quelques mètres, il s'arrêta, et, tout comme un navire fait feu de tous ses canons pour saluer le port, il lâcha les trente-deux bordées de son sourire. Sous le fracas de ce sourire, le monde se figea un instant ; la nuit, reconnaissant son enfant, se fendit d'une révérence ; les oiseaux brisèrent çà leurs chants ; et le vent lui-même s'arrêta un moment de courir, stupéfait.

Car son sourire, c'était... c'était le baume qui aurait soigné les plaies du soleil, c'était la caresse qui aurait apaisé l'océan ; c'était la joie de la nature, mystérieuse et compatissante, et, sous le feu de ce sourire, les peines du vieil homme se roulèrent en boule, tout au fond de ses entrailles, comme dans un terrier, et il se sentit libéré.

Élégamment, naturellement, il s'assit, là, dans la terre, laissant flotter tout autour de lui les larges plis de sa limousine bleue, et, par un ample geste, comme un prince ecclésiaste lourdement chargé de sagesse et de noblesse, il invita le vieil homme à s'asseoir à côté de lui.

Il savait qu'il y avait grand besoin de remèdes, et tout comme un médecin ne perd pas de temps lorsqu'il voit la plaie béante, il entama un chant, avec les mots qui soignent. Cela commença ainsi, et il prenait familièrement l'univers à témoin, avec de grandes caresses vagues vers l'infini étoilé :

« Vois-tu, dans le ciel, lorsque vient le matin, l'aube s'ouvre à l'est, comme une grande fleur rouge, et elle étend lentement, comme une femme se dénude, ses corolles de lumière, jusqu'à en avoir empli notre monde. Puis, au soir, l'horizon, fatigué de sa longue marche en avant, trébuche dans le crépuscule, et le sang rouge du monde flotte à l'ouest, puis vient la nuit. Ainsi coulent les jours, et la terre le sait jusqu'au plus profond de sa chair. »

Il dit, et il s'arrête, pour laisser les mots sortis de sa bouche rouler jusqu'aux oreilles du vieil homme, et tremper son âme, comme on trempe dans l'eau fraîche un morceau de bois sec, afin de pouvoir le tendre, et en faire cet arc dont les flèches bondiront par-dessus toute l'étendue des plaines où danse l'herbe jaune.

« Tu dois te dire que je te répète là bien des choses que tu sais ; mais si tu les sais, tu ne les as pas souvent encore regardées de près, et tu jettes ton regard en-dehors, depuis le jour de ta naissance, avant que d'avoir compris les choses et les êtres qui s'agitent en toi, et de là viennent le manque et le malheur, reprit-il. Tu me diras encore que ce n'est pas en toi que se lève le soleil et se meurt le jour ; mais moi, je te dis que cela est en toi, comme l'est la marche des astres dans les cieux lointains. Il n'y a pas d'ancre au vaisseau de tes rêves, et il a vogué silencieux jusqu'au toit de l'univers, afin de parsemer la nuit de ses feux étoilés. »

« Dans les paroles que je jette au vent, il n'y a que peu de vérités ; mais les vérités, vieil homme, sont enfants de la terrible raison, et nulle joie ne naît de leur dispendieux étalage. Leur chemin est un sentier bardé d'épines, entrelacé de dards venimeux, et menant à l'abîme ; il est une autre voie, qui est celle des illusions et des contemplations infinies, plus douce et plus sûre. Mais il te faut comprendre que tout cela réside et demeure dans les temps de silence entre les mots. Tends l'oreille et surtout, entends-moi sans trop m'écouter, peut-être me comprendras-tu. »

« Il y a longtemps, j'ai reçu la visite d'une Dame, une de celles qui dansent sur les cordes du Temps et chantent la matière. J'étais alors ce jeune fou qui soupire après les bonheurs du roc, rêvant à toute force d'être pour lui-même un refuge de pierre, récif sur lequel se briseraient impuissantes les vagues des siècles. Je hantais une sépulture de bois résineux, où j'avais soigneusement enterré mes brasiers de jeunesse, et j'errais de tombe en tombe, inconsolable, les doigts crispés sur l'air innocent, en quête d'un coupable ou d'un juge. »

« Elle est venue, et elle n'était ni l'un, ni l'autre – elle était le bois souple qui se redresse derrière les tempêtes, elle était la résurrection des morts sur cette terre, elle était encore l'espoir et la poussière en tourbillons dans les rayons de lune. Sa main sur ma nuque, requête et récompense en un geste solitaire, j'ai tressé des crins jour et nuit, agenouillé dans la glaise tiède, au milieu des odeurs folâtres des amours et des saisons, voluptueuses violettes, astrale pureté du thym, larmes de déesse sur les brins frêles de l'hellébore ; j'ai dans ces cordes tendues caché mon orgueil et mon grand rêve, pour qu'on ne puisse jamais plus me les arracher. Au sixième jour de mon travail, j'ai relevé la tête (midi dardait alors son heure de feu dans toutes les ordonnées) et j'ai vu une jeune femme, debout à quelques pas de moi, fixe – dans ses yeux flamboyait une épée sombre, forgée avec toute la haine des hommes. C'est alors que j'ai connu le prix de ma rédemption – méprisante jalousie dans les regards, que mon âme leur reste irrêvée, invisible à tous, puis les lectures par milliers erronées de mon cœur (ils parlent contre moi de vanité, car ils ont toujours vécu au milieu des chiens, et les volitions du grand loup solitaire leurs sont inconnues) ; crois-tu, toi, que le grand loup solitaire hurle à la lune pour être entendu des autres ? Ne savez-vous donc pas qu'il n'y a là que son tête-à-tête avec l'immatériel, et que vous ne recevez de sa grande dispute que de faibles échos ? »

« Il a fallu ensuite un long travail, et m'entourer de maints compagnons – j'ai convoqué la joie rugissante, la sagesse sauvage de l'ermite allemand, le toucher furieux et doux des amants, et, enjambant les vallons, les collines, traversant les forêts, allant à travers les plaines où règne le mistral, j'ai cueilli des saveurs tout au long du voyage, ramassant celles trop discrètes, ignorées et laissées pour compte dans les fossés, mon œil incessamment dardant ses regards vers les haies d’aubépines qui flanquaient le sentier. »

Tirant de sous sa large houppelande une fine cithare, dans le ventre de laquelle s'agitaient des souffles de tempête et des sifflements d'alizés, il se mit à en pincer les cordes, et ses doigts entamèrent une danse, lingham d'ardentes nuées où roulaient l'Univers, la naissance des choses, leur fin et leur éternel recommencement. Ici l’œuvre des mots prend fin, car il n'est pas en eux de puissance suffisante pour exprimer le tonnerre, s'il se décidait subitement à emprunter la voix claire d'une vierge.

Toujours est-il qu'à l'aube, le vieil homme rendit l'âme, et que, son dernier soupir exhalé, alors que la brise emportait encore au loin quelques notes cristallines, ses lèvres froides se figèrent en un immortel sourire. L'Errant, se relevant, ferma les yeux du défunt, afin que nul ne puisse y voir le reflet de Son passage. Puis, enfilant sa démarche légère, respirant à pleins poumons l'odeur des longues traversées, il se remit en route vers l'Est, après avoir un temps interrogé du regard le lever héraldique du soleil. Derrière lui, souriant toujours, le corps du vieillard reposait, paisible, comme plongé dans un long et profond sommeil.



Jérôme, 14 février 2014

mardi 11 février 2014

Outremer



Outremer



Passent les jours comme autant de soupirs
Voiles déployées proues tendues vers l'horizon
Sur la houle mer agitée des souvenirs
Flottent les épaves de mes idéaux brisés
Carènes disloquées radeaux de naufragés
Passent les jours encore je rêve l'amour

Loin de mon ciel noir ont fui les rieuses mouettes
Nuages d'orages complaintes en tempête
Fades lueurs brillent sur le soir de mes douleurs
Las, le dernier phare s'est éteint dans mon cœur
Inlassable, la mer étend ses repos frangés d'écume
Et mes regards jetés se perdent dans la brume

Hier encore je croyais à tes sables apaisés
Repos lascifs de tes bras loin des alizés
Aux vallées sous les soleils de ton sourire
Aux forêts où vole libre l'oiseau de ton rire
À tes yeux paisibles comme un dernier rivage
Aux promesses dans les plaines de ton visage

Déçu je reste çà errant sous les cieux épuisés
Vaisseau fantôme de mon cœur désabusé

Hisse tes mats nus, serre le vent de l'espoir !
Noyé le jour noyé l'amour noyée la gloire
Toutes voiles dehors vers les récifs de l'infini
Où règne invaincu le silence des froids caveaux
Vers ce pays dont jadis la nuit m'a parlé
Où paraît-il la terre est un grand calme étoilé




Jérôme, 11 février 2014

samedi 8 février 2014

Le Tombeau d'Arya, II (Anathème)



Le Tombeau d'Arya, II (Anathème)



I

Pourquoi, pourquoi m'avoir jeté dans ton fleuve
Dont les gouttes sont nos fugaces jours en armes,
Où roulent les siècles par vagues de larmes ?
Réponds – est-ce là de notre destin l'épreuve ?

Je croyais que le frémissement de son cœur
Était le souffle calme et indolent du monde !
Que pour mirer son visage seule coulait l'onde
Qu'elle régnait sur les êtres frappés de stupeur

Que sur elle glissaient jusqu'aux lourdes Heures
Je croyais que son rire donnait à la nature
La note du bois, du frêne la fine stature !
Il ne bat plus, elle ne rit plus – mais, ô douleur !

Ton ciel n'étale pas moins d'azur en son été
L'horloge frappe encore ses heures moroses
Comme si les siècles ne devaient pas s'arrêter
Lorsque ses paupières se sont à jamais closes !


II

À genoux sur sa tombe, inconsolable je pleure
Et pourtant autour de moi insouciantes les fleurs
Exhalent encore des mots d'amour et de joie
Ton aurore n'étend pas moins ses orbes de soie !

Ne jettes-tu parmi nous pareilles splendeurs
Que pour en ôter quelque jour les couleurs,
Que pour qu'un soir nos cœurs se pâment ?
Qu'as-tu fait, ô Seigneur, de sa grande et belle âme ?

Dis-moi, au moins, qu'elle en a une !.. qu'elle survit !
Que je n'oublierai pas mon rêve à la nuit,
Ni l'éclat de ses yeux dorés de merveilles
Qu'elle n'est pas ce songe que fuit l'éveil !

L'oiseau ne s'envole-t-il pas vers d'autres cieux
Que pour y aller chercher la flamme de ses yeux ?
Les sommeils seraient-ils sinon, furieuses fièvres,
Pour y pouvoir rêver les astres de ses lèvres ?


III

À quoi bon – à quoi bon le souffle de la brise
S'il n'affole plus tes mille mèches rebelles ?
À quoi bon – à quoi bon la nuit qui s'irise
S'il n'y a plus tes baisers pour la faire immortelle ?

Encore, sur la berge de notre lac, chante
Le rossignol qui – t'en souvient-il, mon amante ? -
Égayait nos nuits de ses romances oubliées
Tandis que fuyaient nos vies que nous croyions liées !

Le sauras-tu ? Loin de ton sourire tes roses
Fleurissent encore ! Indolentes, elles éclosent
Lors même que tu t'en es à jamais allée,
Lors même que tu t'es vers d'autres cieux envolée !

Ce n'est que dans les jardins fanés de mon âme
Que germe le népenthès et que se pâme
La ciguë fatale, entre les tombes de mes rêves
Que devant ton souvenir ma mort se lève !


IV

À ton noir archange, Seigneur,
Compte un grand vol ! Sous son aile
Il y a place pour moi et elle !
Emporte-moi dans ma douleur !

Ne laisse pas du temps les vagues
Mille fois retourner la dague
En un cœur qui ne frémit plus
De son souvenir – mon salut !

Jusqu'à ce qu'un jour triste et noir
Ses traits se perdent en ma mémoire
Jusqu'à ce qu'il ne me reste rien
Que les brumes d'un songe aërien !


V

Océan du temps qui efface son visage,
Ton secret est-il de n'avoir nul rivage ?
Quoi !.. faudra-t-il donc qu'éternellement je sombre,
Qu'à jamais me hante son absence et son ombre ?

Es-Tu ? Nulle part ne s'embrase Ta flamme !
Ton ciel, Ton regard, est si paisible et si calme !

Va-t'en lors – son souvenir sera mon seul dieu -
Et je n'expirerai que pour monter à ses cieux !
Plus que toi, je l'ai faite irréelle immortelle
Et ta lumière n'a pas le feu de ses prunelles !





Jérôme, 8 décembre 2013.

vendredi 7 février 2014

L'abîme des nuits



Il se tenait debout, fermement, au beau milieu de l'abîme des nuits, et, à travers lui, là où passait la lueur de la lampe, on pouvait voir ce qui le soutenait et le faisait se tenir si droit et si beau ; c'était un grand rêve, ondoyant et confus, qui nageait comme un serpent d'eau dans son âme. L'horloge égrenait lentement le chapelet des heures, officiait le temps, et l'homme demeurait, voulant à toute force être ce roc impassible contre lequel se seraient brisées les vagues des siècles. Son regard examinait fixement les murs, puis l'armoire, puis le bureau, revenait à la porte, et repartait ; et c'était comme le fanal puissant d'un phare, qui donnait vie aux objets sur lesquels il se portait. Lorsqu'il fixait la fenêtre, il l'interrogeait, et la fenêtre, toute surprise de cette vie qui lui avait soudain été accordée, restait d'abord muette, perdue dans l'étonnement de sa conscience toute nouvelle, puis, rougissante, elle balbutiait quelques mots indistincts ; mais déjà, il sifflait dédaigneusement entre ses dents, tournait son regard, et la vitre, privée du magique faisceau, retombait dans son inanité de chose. Et il jouait ainsi avec les choses, l'une après l'autre, et si je sentais qu'il fuyait, avec ce regard comme une girouette, un vent trop fort, un appel trop lointain et douloureux, je ne voyais pas ce remords, je n'entendais pas ce cri. Jusqu'à ce qu'enfin je comprenne ; il portait en lui, sous le serpent, une bête fauve, noire striée de rouge, et cette bête réclamait quelque chose comme la mer, pour y noyer le trop grand besoin d'amour qu'elle avait ; et c'était une guerre de chaque instant entre la bête et le serpent du grand rêve, et l'homme contemplait ce combat, triste parce qu'il eût voulu qu'ils fassent tous deux la paix entre eux et avec lui, et qu'à eux trois, ils fassent voile vers les étendues de son rêve, naviguant inlassables sur une mer d'émotions, chaude et odorante. Et c'est pour cela qu'il en appelait aux choses, parce qu'il lui semblait sans doute qu'elles pourraient être les médiatrices de cette terrible douleur, et puis parce que, je le savais, il voyait dans leurs angles fixés, et dans le profil mystérieux des bois, les ornementations géométriques sur les meubles, il voyait là un visage, un visage très fort et très doux, d'où s'échappait un regard clair comme la lueur de la lune, et entouré d'une brise de cheveux longs et polycolores ; ce visage, c'était la figure de sa paix, et c'est pour cela que les ailes de ses cheveux étaient gorgées de lumière, comme celles d'une colombe. Elle existait sans doute, quelque part dans le monde, cette messagère de paix, créée pour porter dans son âme, à lui, la douceur qui lie les hommes, et les jette tout entiers vers un but invisible et lointain, mais il ne savait comment la trouver, et cela ne lui paraissait pas une bonne idée que d'aller sur la grève du monde, et, à genoux dans le sable, de demander humblement aux étoiles si elles ne l'avaient pas vue – ou, peut-être, l'avait-il déjà fait, et les étoiles ne savaient pas, mais cela, je n'y croyais pas, parce que, elles me l'ont dit, les étoiles n'ignorent rien de ce qui se passe dans les terres qu'elles éclairent.

Ce qui faisait qu'il était perdu, qu'il voguait, et que la bête au pelage fauve se battait toujours avec le serpent, et que son regard continuait de pirouetter entre les horizons limités de la pièce. Je me sentais triste, très triste, parce que je savais que tant qu'il n'aurait pas trouvé l'oiseau de son bonheur, son rêve se perdrait en combats éternels, et que jamais, jamais, il ne pourrait prendre son essor, et couvrir le monde des hommes avec ses grandes plumes douces, puis se relever et partir vers l'au-delà, heureux d'avoir adouci par ses caresses les reliefs de toutes les vies ici-bas. J'entendais monter le chant muet de la douleur, et quelque part, un musicien très talentueux pinçait mélancolique un rayon de soleil, pour en tirer une complainte aussi déchirante que l'était cette douleur, et comme une maladie, sur les ailes de la mélodie le désespoir parcourait le monde, et tous ceux d'entre les hommes qui n'étaient pas protégés par l'étau du sommeil sentaient en eux l'envie solitaire d'un amour, et ils pleuraient, tous – et les étoiles attristées regardaient leurs enfants, dans toute l'étendue de leur affliction, et ne savaient que faire.

Cette scène dura longtemps, et comme le temps, respectueux devant le deuil que tous portaient, avait accepté d'arrêter un moment sa course, et de laisser reposer les orbes véloces qui tiraient son pendule de feu, cela dura une éternité ; quand, emplie d'une compatissante mansuétude et pourtant contrainte de blesser les cœurs saignants, l'horloge relança à contrecœur son contrepoids de bronze, le jour se levait déjà.

Ce fut tout à coup comme l'extinction d'un feu d'artifice, après qu'au loin se soient dissipées les dernières fumées, quand le jour jaloux vient reprendre possession de l'univers, chassant impitoyable les songes alanguis, et restaurant les contours durs et bruts des formes, et les strictes couleurs qui font mal. Le feu souterrain de l'homme s'éteignit brutalement ; le serpent et la bête fauve disparurent dans les replis des chairs et des organes ; le dieu qui trônait dans son regard s'évanouit, et il redevint cet animal bipède et vil, cahotant à travers les lieux communs, qu'il semblait n'avoir jamais cessé d'être. Enfilant son manteau, d'un geste lent et désabusé, comme écrasé sous le poids de ce joug qu'il endossait aube après aube, il sortit de la pièce, expirant les dernières paillettes de la nuit en un long soupir morne, avant que de fermer derrière lui la porte.

Je me roulai en boule pour dormir, sachant qu'il restait, quoique cachés dans l'intime substance des choses, tous les éléments de la grandeur qui venait de s'éteindre, et que douze heures plus tard, celle-ci remonterait vers l'infini, léchant le toit des idées avec sa grande langue de flammes, et je ne voulais pas manquer ce spectacle. D'autant que, je le crois encore, un jour la paix sera faite, un jour l'oiseau viendra, et ce jour-là sera l'harmonie de tous les accords, le final sublime du feu d'artifice, et j'espère dans l'ombre le frémissement dernier des myriades de violons qui chanteront cet instant.