samedi 5 juillet 2014

DEMENTIA



Cercle furieux. Les ailes battent
        vertige
               mal des profondeurs mon angoisse
        d'être homme

Prison de chair. Les verres tombent
        ivresse
               roule ivrogne et dégoise et crache
        vitriol

Bile étend tes bras écarlates
       fuis-moi
               va araignée de mes entrailles
       issue

Gorge asséchée ô mon désert
       zouaves
               soldats marchent dans ma trachée
       encore

Boire !.. il est nuit sous mon crâne
       jaillissent
              étincelles étoiles à la voûte
       vacarme

Sonnez carillons à tous diables
       tintez !
              ding !.. je m'en fous je plonge espace
       déploye

Vieux fier-à-bras tes nébuleuses
       vitesse
              voyage éthylique haut-le-cœur
       oubli

    Noir nuage couleurs des éclairs vide horizon
                                            NOIR.



                                                             Jérôme, 5 juillet 2014

samedi 28 juin 2014

Sommeil des écrans

Sommeil des écrans
Toutes voix en veilleuses
crystal color... je reprends !
les morts ne sont plus bien sérieuses
depuis qu'on se survit filigrane
Hamlet tire-toi ton désuet crâne
n'amuse plus ! clique un coup parle en silence
sûr qu'elle t'écoute l'âme d'Emrick qui s'élance

au ciel du virtuel...

de port en port
voyagent des messages
d'amour obscènes en bits
fracture grave du ressort
qui liait aux hommes le fol le sage...
nuit ! longue litanie je te récite :
"mes citadelles frappées par un bug rieur
protège et dispose Seigneur modérateur !"

quel étrange insecte...

je fuis cette secte
mieux baiser Son Calvaire
que ces lèvres plaquées verre !
enfants, forniquez s'il vous plaît
en toute épaisseur ! c'est par trop laid
vos masturbations solitaires et pucelles...
je l'avoue je préfère à toutes celles
que je n'ai vues celles que je ne reverrai

on en hurlerait...

"tu ne crois donc pas
qu'il est là quelque appas
pour toi vieux chasseur de rêves ?"
vrai, ma Voix ; mais ce qui se lève
derrière est un monstre de vies vides
et je refuse que viennent des rides
à ces visages alors qu'encore nubiles
du viol de la terre ou de la mer aux longs cils...


"Silence et contemple !"

Oublier que là où riaient des halliers les temples
rien ne sera par un pied vif effarouché ?
C'est donc la corde du monde qu'il faut lâcher ?..


                              
                                                            Jérôme, 28 juin 2014
                     

vendredi 27 juin 2014

Angoisse


Angoisse.
Tu serres mon cœur
Dans ton étreinte basse.
Entre quiétude et terreur
Chaque jour, tu me glaces.

Est-ce ton souffle froid
Qui glisse sur mon visage ?
Est-ce toi qui me regarde
Comme on admire un paysage ?

Tu es là, donc je ne suis jamais seul.
Ta main sur mon épaule,
Tes doigts qui m’effeuillent
Et me laissent sur scène sans rôle.

À chaque silence que je m'admets,
Tu t'instilles un peu plus dans ma chair
Au venin de mes nuits trop claires
Un jour, je succomberais.

jeudi 26 juin 2014

Reflet


Entre méduses dégénérées
Et couloir irrationnels
Mes visions ensommeillées
Sont des cauchemars irréels.

Les crabes araignées parcourent
Mes membres qui tremblent,
Et me portent à l'océan.
Je sens que s'envole ma bravoure.

Je m'enfonce dans l'eau glacée,
Les bras liés par des algues translucides
Je me débats, mes liens sont solides
Ils m'emportent, je ne peux lutter.

La chute paraît sans fin
Dans ces eaux sans fond.
Et quand je ne vois plus rien,
Je sens les caresses du démon.

Il est là, silhouette imberbe et blanche
Qui flotte à mes côtés et me suit.
Son regard me perce et mon cœur flanche
Vers ses froideurs et ses abysses.

Je ne cherche plus à m'échapper
Car j'ai vu qu'il était innocent.
J'ai même compris, en me réveillant,
Que dans une écaille, j'avais eu peur de mon reflet.

samedi 21 juin 2014

Sable et Sel



Il ne veut plus, ne veut plus, écrire de poèmes
rire au-dehors, il sait ce son, ce rire qu'il aime
route, grand bras noir, route aux grands bas noirs
comme en guerre l'heure sonne, il faut ce soir

Partir et ne pas tourner les yeux – ni de l’œil :
lâcher les poids de trop, pensées, livres et recueils
crois-tu pas que sans pages aussi bien tu cueilles
le rare oiseau requis en l'ordre épars des feuilles ?

Il va : il a foi et puis qui ne sait que chaque
cité et les talons des prostituées claquent
le pavé entrelacé d'enfants dans la poussière
tient haute sa part de beauté, la déploye fière

En vue de la revue que notre poète un instant
silencieux viendra insoucieux passer au temps
des caracos rouges ouverts sous le soleil sévère
saison propice que celle-ci ciel découvert !..

Je suis l'autre : je ne pars pas, j'attends mon tour
et quand mon cri-porteur – départ ! – saute en ses bottes
à son oreille attentive je souffle et chuchote
quelques brèves selon quelles il est un retour.

Il trouvera dans son lit – lisez sous sa plume
la même nuée dénudée que cette nuit :
c'est qu'il s'agit d'amour !.. ça, jamais je ne fuis ;
comme un linge agité au loin sa garret' fume...



Jérôme, 21 juin 2014

mercredi 18 juin 2014

Souffle

Le silence, mon frère secret,
Qui n'accepte de se dévoiler
Que lorsque vous êtes évaporés
Et me susurre des symphonies d'Alizés.

Il me raconte les jours passés
Quand je n'existais pas,
Et quand je l'abandonnerai
De susurrer, il continuera.

Ainsi, je ne suis qu'un coup de vent
Frôlant la peau de l'univers
Et m'évanouissant,
En l'air.

Je souffle
Et je suis enchanté
Et puis je suis attristé
De l'avoir perdu, mon souffle.

Que sont beaux les reflets du soleils
Sur les bords de la rivière.
Mes vies, qu'elles sont belles,
Au Ciel, comme sur la Terre.

lundi 16 juin 2014

Chronométriques - Romance ratée



C'est dommage, tu étais jolie :
je me sentais d'humeur et de taille
à faire pour toi quelques folies
voir même à la jouer un rien canaille.


Mais tes grands yeux trop vides
annonçaient pour un jeune poète
un goût de rien-du-tout trop acide
dans ta charmante petite tête !


Et puis cette main toujours fermée
sur l'oracle mystique à l’œil de verre
attendant le tremblement... non mais !
crois-tu qu'avec ça l'on fasse un vers ?


Zut ! plutôt courir à tout jamais
portant ces images qui résonnent
que de capituler et rimer
beauté qui m'étonne et téléphone !




                                                Jérôme, 16 juin 2014 (3 min.)

dimanche 15 juin 2014

Chronométriques - Vagabond


Chronométriques - Vagabond



Oh !.. une famélique silhouette.
Je t'aime et ta main tendue rejette,
infirme miraculé de la Cour,
blessure des villes au grand jour.

Tous deux – nous portons une faim
qui ne se comble pas d'eau ou de pain :
toi de vengeance et moi d'azur.
Et donc ici-bas traînons la chaussure.

!.. grande culbute des poètes et mendiants :
nos bosses font couronne de diamants,
qui, je sais !.. fait s'enfuir les belles,
mais baste !.. à toi le vin, à moi celle

qui me noie comme une ivresse
et dans la nuit je me redresse
porté par une peu commune fièvre :
au diable les vers doux et mièvres !

Je veux à plein gosier entonner
de sombres stances et le glas sonner
pour l'arrivée nombreuse des Sentinelles
et des cris, des voix, qui s'emmêlent !


Jérôme, 14 juin 2014, (2min.)

Voix d'enfant




Voilà : à la craie, prudent, j'ai tracé ta place.
Une pierre, là, et pour tes gestes un vaste espace.
Je me suis tu. J'attends, maintenant, que tu viennes.
Il n'y a pas de jour ; j'ai tiré les persiennes.

Tiens !.. Regarde : j'ai tué – pour toi – des oiseaux.
Je ne voulais pas qu'ils fuient au loin là-haut
puis, est-ce pas joli, ce tapis de couleurs
comme un second ciel ? Pour toi, toutes ces douleurs !

Et même moi aussi je serai, comme eux,
couché dans mon sang, dans mes plumes, si tu veux,
et tu me regarderas la lèvre humide et l’œil en feu.


Ton visage, je le saurai : jamais je ne t'ai vue,
mais ton nom était de toutes les entrevues
avec mes pères : ils te disent la Belle Dame,
et que sous la soie ta peau brûle comme la flamme

le son de ta Voix que toutes ces nuits j'ai appris...
je veux poser mes lèvres sur celles de ton Cri !..
noyer, d'abord, tous mes doutes dans tes caresses,
puis me pendre à la longue corde de ta tresse !


J'y suis toujours, dans mon lac d'oiseaux dépareillés
cicatrice au ventre et tout prêt à appareiller
vers la tenture de sang versé, vers l'envol
vers tout ce que ce monde à notre amour vole...

ici-bas les formes tracées restent tracés vides
et nulle pierre lancée sur l'eau qu'elle ride
ne fait rien oublier et l'azur insolent
luit encore de corps et de voix s'y mêlant...



                                                               Jérôme, 14 juin 2014

samedi 14 juin 2014

À petits pas

Est-ce la beauté qui se meurt
Ou mon cœur qui se voile ?
Mes yeux ne peuvent voir
Que des plaines de douleur.

Je marche sur mes gardes,
Sur ce terrain desséché,
Où plus une fleur
N'expose son art

Vous qui m'exposez
Votre face si laide,
Et votre corps,
Mon dieu, si grossier,

Qu'ai je donc fait pour cela ?
La vengeance que vous perpétrez,
Serait-elle provoquée
Par mes mots désirables ?

Quoi qu'il en soit
Partez, je vous en prie
Laissez moi vivre
Sans subir tant d'émoi.

Permettez moi de m'enfermer
À l'extérieur de votre cellule.
Où volent les mots
Et  chantent les oiseaux.

jeudi 12 juin 2014

Contes Musicaux - sur Symphony n°4 (op. 36), Piotr Illitch Tchaikovskï


Il y a là une grande forêt où flottent des paroles, lourdes de sens et surprenantes, torrentielles et inaudibles à travers le vacarme de leur multitude. Un jeune regard les interroge, un regard grave comme les yeux d'une tombe, mais si jeune !.. si jeune que la tempête ne s'est pas encore calmée, qui gronde en lui, venue, venue d'avant !.. si jeune que la tempête qui gronde et fait rage au-dehors, venant tout droit des profondeurs immenses de la forêt – qui s'étend à perte de vue – ne lui fait pas peur. Il ne sait pas, ce jeune regard, ce que c'est que la mort ; et peut-être, protégé de toutes parts par les remparts que lui fait son ignorance, pourra-t-il ne jamais mourir.

Il fixe le vent, curieux. Qu'est-ce que cette colère qui se déchaîne dans l'air, cette soudaine fureur du vent ? Est-ce parce qu'il aime tant les vieux arbres majestueux qu'il les ploie jusqu'à les briser presque ? Nadiaïevna, la fille de la vieille femme, est avec lui comme ce vent est avec les hauts sapins mélancoliques, et lui aussi est comme ces rameaux qui se tournent et se retournent en tous sens en gémissant, girouettes soumises aux forces de la grande colère qu'est le vent. Il lui dira, à Nadia, il lui dira. Il sait maintenant la raison des cris et des coups, des haines et des larmes. C'est – et en cet instant le jeune regard se sent toucher le fond, les soubassements du monde qui l'a toujours entouré et qui lui a toujours échappé – c'est que tous s'aiment, mais ne peuvent se fondre l'un en l'autre, et le dépit qui naît de l'amour insatisfait, c'est cela, et cela seul, qui engendre la colère et la douleur. Il ouvrira ses petits bras et ses grands yeux, donc, à Nadia, et elle se calmera, et elle cessera les coups et les hurlements tout le long du jour, hurlements que l'habitude a si bien dénués de sens qu'ils ne sonnent plus que comme une longue et vague mélopée, une sorte de tradition, la vie dans ces cœurs frustrés et jetés les uns vers les autres.

Soudain, jailli des ombres et plus noir qu'elle, sorti du vent et plus furieux que lui, un grand corbeau noir, presque plus grand, avec ses ailes étendues, que l'enfant, vient s'abattre, en un grand fracas de plumes, dans la neige à ses pieds. Il ne bouge plus, et très vite, la neige commence à le recouvrir. Surpris, le jeune regard se penche sur l'oiseau si subitement immobile. Des faisceaux de pensées caressées, entrevues, pas même exprimées, se meuvent derrière les grands yeux. Il a le pressentiment de s'être trompé, et que peut-être c'est dans le grand fracas des plumes et le silence qui a suivi qu'est le mystère et la raison des cris et des coups, des colères et des chagrins, et des stridentes mélopées de Nadia. Il ne sait pas, il ne sait plus. Il reste là, il fixe le ciel, et cette fois-ci il a peur, une peur sans fondement ni but, qui se contente, sans se dévoiler, de sourdre lentement au fond de lui-même. Il ne bouge plus ; mais il est devenu mortel, et le vent et la grande forêt ne le reconnaissent plus, ni le froid, qui s'attaque à lui – le froid qu'il aimait tant !.. et il fuit vers les maisons et le village, et vers les cris de Nadia, qui maintenant l'effraient moins que la grande forêt et la fureur de l'air qui se jette à bras-le-corps sur les arbres et sur le sol, et qu'il ne comprend pas... qu'il ne comprend plus...

mercredi 4 juin 2014

Jouet

Mon petit jouet
Mon petit enfant
De bois lustré
Tu vis, tu vis.

Je t'ai façonné, je t'ai poli
Pour t'animer, te donner la vie
Et maintenant, tu me réponds
Tu me montres ton beau sourire.

Une larme de bonheur
Coule sur ma joue ridée
Lorsque tu danses
Sur mon atelier

Toi qui m'a été enlevé
Tu me reviens enfin.
Toi qui était parti
Tu as retrouvé ton chemin.

Que vais-je faire de mes mains
Maintenant que tu es là
Te cajoler toute la journée ?
Mais bien sûr, viens là.


Puis vient le moment,
De lâcher la croix d’attelle
De te laisser, encore une fois tomber
Dans ton tendre sommeil.

Soleil

Que ce soit le ciel bleu,
Le soleil brûlant,
Ou les oiseaux heureux,
Ils me sont tous indifférents.

Avançons ensemble
Malgré tout cela
Malgré leur futilité
Tout sauf innocente.

Je ne veux que de l'eau,
Claire et fraîche
Pour nous porter, nous soutenir
Puis nous couler, sans ressentiment.

Alors, tout sera vrai,
Mais ce sera fini.
Nous ne pleurerons pas,
Rien n'aura d'importance.

samedi 24 mai 2014

Feuilles

Feuilles qui s'envolent
En essaims désordonnés
Vers où allez-vous ?
Quel mouvement vous aspire ?

Je vous le demande,
Mais vous restez bien muettes
Bien au chaud, au secret,
Vous m'ignorez royalement.

Feuilles qui volez
Vers le ciel, ou la mer
Me prendriez vous avec,
À l'arrière, en queue de caravane ?

Me porteriez-vous, vers l'horizon ?
Vers son jaune, son orange, son outremer,
Et où vous semblez trouver le repos.
C'est ce que je cherche, m'aiderez-vous ?

Le masque

Masque qui me regarde,
Sois sur tes gardes.
Tu pourrais bien tomber,
réduit à la tombe et au pourri.

Masque qui me regarde,
Que me veux-tu ?
Que veulent dire ces yeux,
Ces yeux vides et ce sourire béat.

Masque qui me regarde,
Qui caches-tu ?
Ennemi ou ami ?
Meurtre ou accolade ?

Masque qui me cache
Rappelle moi ce que tu fais
Sur mon visage, sur ma fierté.
Saute de là, que je me dévoile.

Masque qui m'a révélé
Comment as tu pu m'abandonner
Moi qui me blottissait dans tes rides
Moi qui suis maintenant dénudé.

Masque toujours là
Tu sembles immortel.
Car tout le monde te demande
Et à chacun, tu réponds présent.

La guerre

Les bombes tombent sur mon toit.
Je suis réfugié dans une guerre,
À laquelle personne ne pense.
Régulièrement, les nuages nous attaquent.

D'abord, c'est la prière.
Ils flottent dans l'air,
L'air insouciant - mais très vite
Ils se gonflent, se grisent, s'abattent !

Alors, c'est le grand assaut.
Les soldats en gouttes
Sautent les une après les autres
Vers le sol qui les recueille.

Avec le vent, avec la foudre
Ils forment des alliances sournoises
Terrifient petits et grands
En sonnant leurs orages.

Mais jamais à ce jour,
Les innombrables tempêtes n'ont réussi
À percer ne serait-ce qu'un trou
Dans notre coquille vide.

vendredi 23 mai 2014

Visages

Quand le foule se disperse,
Il ne reste que des visages.
Des visages familiers, éparses
Mon seul et unique paysage.

Ils me regardent avec leurs yeux,
Leurs yeux si animés
Immenses et bleus
Prêts à m'engouffrer.

Ce n'est que quand la machine
Repart de plus belle,
Qu'ils bougent et s'animent,
Me les rendant tenables.

Alors, je peux bouger aussi,
Oublier leurs pupilles percantes
Et replonger dans les vagues
Qui les avaient échouées.

Bouquet

Une fleur de compassion,
Pour les instants qui nous échappent,
Évadés de nos griffes trop avides
Vers un monde sans horloges.

Une fleur de larmes,
Pour nos mots intraduisibles,
Qui se perdent dans nos esprits
Comme un renard dans un poulailler.

Une fleur banale,
Pour nos jours similaires
Reflets estompés
De nos défaites d'hier.

Une fleur d'amertume,
Pour les jours que nous ne vivrons pas,
Qui se passeront de réalité
Pour s'écouler tranquillement.

Une fleur menaçante,
Pour les cris qui nous opposent,
l'un et l'autre, de chaque coté
D'une grande barrière d'épines, infranchissables.

Une fleur pourrie,
Pour les poisons qui nous rongent,
Morceau après morceau,
Qui attaquent notre chair, hier encore vierge

Une fleur de nostalgie,
Pour les tableaux du passé
Qui décrivent mieux que personne
Les scènes simultanés de notre pièce.

Une fleur de nudité,
Pour ces fleurs envolés
Dans un nuage de caresses
Et dans un soupçon de violence.

Une fleur que je tend,
A toutes les mains meurtries
Qui se tendent avides
Vers la mienne, un peu trop irréelle

Une fleur de sang,
Pour les caniveaux qui se remplissent
De bile, de tripes et de gens
Et pour ceux qui s'y refusent.

Une fleur encore endormie,
Pour nos désastres à venir,
Pour nos erreurs en gestation,
Pour nos orages en suspension

Une fleur qui se transforme
En fruit bien juteux
Dans lequel nous croquerons
À pleines dents, si le soleil le veut.

Une fleur mécanique
Pour ces cœurs qui tiquent
Dans mains, dans nos crânes
Et qui hissent nos âmes

Une fleur de labeur
Pour les muscles tendus
Qui trainent les charrues
Et fécondent la terre.

Une fleur d'étoile
Pour toutes celles qui nous observent
Bienveillantes mais froides
Accrochés au drap bleu du sommeil

Une fleur rancœur
Pour les coups retenus
Pour les vérités assommées
Et les vies dépolies.

Une fleur de verre
Pour tout ce qui est fragile
Qui se brise en un chant céleste
Et disparait en poussière d'ange

Une fleur de sueur
Pour les routes sous le soleil
Brulées par les fous
Assoiffés de papier.

Une fleur absente,
Pour le créateur qu'on renie
Qui s'abrite dans le silence
Et nous tourne le dos

Une fleur d'étreinte
Pour ceux qui attendent
Le déluge des flammes
Et le renouveaux des hommes

Une fleur attentive,
Pour les prêcheurs dans le vide
Qui s'épuisent face au mur
Dont les flammes vacillent.

Une fleur d'épines
Pour tout ceux qui voudrait la cueillir
Assoiffés de sa sève,
Écoulés le long des foules.

Enfin, une fleur qui me sourit
Au milieu de ce laid buisson.
J'y vois nos visages,
Et bientôt je ne vois plus qu'elle.

mardi 29 avril 2014

Horloge


Tic, Tac, presque imperceptible
Mais qui brise le mur de l'inconscient
Oh oui je peux sentir l'inextinguible
Machine qui marque régulièrement.

Je la vois devant, derrière,
Qui me suis, me précède, omniprésente.
Où que j'aille dans l'univers
Elle sera là, trop imposante.

Elle transforme mes instants
En souvenirs qui s'effacent,
Et mes rêves d'enfants
En présent qui terasse.

Toi qui fait éclore,
Tu fais également sécher.
Quels vilains mécanismes
Animent ton cœur régulier ?

Toi qui tourne sans fin,
Loin du repos que tu guettes.
Oui toi qui te détestes,
Seras-tu un jour un passé lointain ?

mercredi 23 avril 2014

Repos


Calme apaisant après une bataille bien menée
Laissant de l'espace à l'esprit fatigué
Le guerrier lui aussi, s'étend de tout son corps
Battu, roué, embarqué à tort.

Dans le ciel, les étoiles aussi se reposent
Quelle fut leur guerre ? Leur combat ?
Quels ennemis les rendirent si moroses ?
Leur rendra t'on l'éclat du grenat ?

Nos instants de douceur dégustés,
Eux seul trouveront le chemin du futur.
Qui d'autre pourra nous guider
Et nous guérir de nos meurtrissures ?

Tant de questions adressées au ciel
Et tant de silence en retour.
Et c'est dans ce mutisme solonnel,
Que naissent et meurent nos bravoures.

dimanche 13 avril 2014

Prose Libre 3

Fusion macabre, hypnotique de silhouettes arachnéennes. Corps froids juxtaposés dans l'orthodoxie des fortifications. Pauvres gens qui se cachent derrière des murs fragiles, prêts à exploser en poussière, en nuages de craie, en cris et en sang. Cocon verdâtre, radioactif qui reluit faiblement , suspendu au noir du ciel et au gris qu'il reflète. En sortira un sac informe de gélatine qui explosera et nous figera dans une éternité molle.
Axone de soumission pour les têtes baissés. La lumière qui n'éclaire ni ne réchauffe fait briller les ivoires jaunis. Autoroute à sens unique, 100% d'accidents mais aucun mort, uniquement des corruptions neuro-chimique. L'horloge est déréglée, il sera bientôt 19h32 pour toujours et toujours. Tiktak mon pote me regarde depuis le caniveau, il s'étouffe avec des écrous rouillés et personne ne va le sauver. Il craque avant 19h32.
  Électron du circuit vit en dérivation. Il passe encore devant le lavoir à plumes, ne veut pas s'arrêter dans le grand coeur. Les valves noircies pompent trop vite le liquide de chaux. Les bourdonnements rongent ses oreilles, il pleure les océans, il pleure ! il pleure ! il veut que ça s'arrête !

samedi 12 avril 2014

Prose libre 1

Je suis tombé dans le coma, noyé dans une goutte brulante et métallique qui perlait à la surface d'une peau de forêts aux arbres morts.La lumière me coupe le souffle, m'étouffe dans l’œuf de mes rêveries. Au loin, le condamné me tend la main, mais je dors. Ou plutôt je cuis. Les oiseaux mille fois ressassés bourdonnent en meute de hyènes à mes oreilles. Leurs hurlements invectifs me torturent jusque dans la mort.
Il y a ce monstre tentaculaire, jusque à côté de moi, qui gigote. Je le sens faire vaciller mes voûtes calcaires et fragiles. Je suis la cathédrale inachevée où s'abritent les pigeons morts-volants, les moineaux sauvages et les hiboux atteints de déficience mentale. Ils viennent se grimer de dioxyde de carbone dans les tuyau mi-bouchés de ma grande cheminée.
Et ils s'érigeront bientôt dans les tumeurs malsaines comme une mare croupie venue submerger les aficionados de la fornication récursive. Je sais qu'il me faudra y retourner, regarder en face les nuits mutagènes, reines veuves et folles des abstractions délimitées. Et l'oiseau noir gargantuesque me recouvrira de ses motifs variants. Je perdrais la folie, en contemplation face à ces polyèdres, desséché d'une oasis chaotique.
La grande putain dans ses draps souillés lance vers mois ses bras avides, recouverts de peintures archaniques. Elle veut que je tète son sein oléagineux, que je me gave de ses langues bleuies exprimant encore l'effroi extatique de leurs antécédents. Je l'absorbe, à contre cœur, nostalgique d'un tableau qui se dépeint devant mes yeux.

mercredi 19 mars 2014

Danser les flammes autour des...

               corps nus ? arabesques ? élégantes arabesques des corps nus ?
                                  - trancher, tuer, éliminer. Laisser, ouvert, l'espace, la main du vide vous guidera jusqu'à nous.


Vieillesse de la flamme éteinte : fumée éteinte.
L'âge était un souffle à rebours, pour elle.


Reflet de tes yeux contre les miens.
Miroir-gigogne de nos regards.


Gestes des mains, des mains, des paumes. Gestes
dans l'air, sifflants, gestes hésitants. Recommencer,
recommencer,jusqu'à pouvoir te faire revenir des
mondes de l'air.



ARACHNÉ

Huit jambes de femme, beaucoup trop de grands yeux, affairés,
tendent autour de moi la toile des anciens mystères.
Avant de mordre, demain peut-être ; gorge offerte, j'attends.
J'attends depuis si longtemps que maintenant, j'espère.


Je l'ai vu escalader des nuages, montant un à un les escaliers de l'air. J'ai cru,
à première vue, à cause de l'eau qui coulait, qu'il se noyait au fond du puits.
Puis il a tendu la main.
Aujourd'hui, encore ils hésitent. Mais l'enchaînement
logique des aubes a ramené le silence,
je ne suis plus seul,
à deux puis viendra le premier mot.


Vent, tempête, ouragan, brise, souffle, pfuiit !
Onomatopées, pour regarder les couleurs des lettres
Avec les yeux tout doux d'un enfant.


Coup de règle, cinglant, sur les petites menottes aërisées
d'une respiration. Je reprends mon souffle.
                                                                           

Je rêvais d'avoir des paumes molles et riches comme une terre humide. La fleur dans mes mains s'est fanée, jamais elle n'a plongé sous ma peau ses racines. Imperméable, trop imperméable peau ; mais c'est ma faute, me dit l'enfant, je n'ai pas assez versé de larmes pour arroser le printemps.
                                                                                                                                           

Flageolant, l'équilibre incertain d'une crème brûlée, cheveux bruns sur
grand corps blanc. Je ne marche pas, je ne marche plus,
j'ai trop peur de m'effondrer avant de t'avoir atteinte.
                                                                                            

Juste le sol, et la pierre blanche, et le fagot de bois, tous endormis,
communiants que je ne comprends pas. Il manque
à ma vue la main d'un ange,
pour animer le monde.
                                           

Des lèvres impassibles m'ont parlé de ta mort...
                    
(de plus, cigarette, volutes de fumées autour des mots de ton sort)
                                                                                                                         -J.

samedi 8 mars 2014

Poème sans titre

Le soleil frappe mon visage
Assis sur un rocher.
Il traverse mes feuillages
Et vient me réchauffer.

Ne vient percer le silence,
Que la rivière qui s'écoule.
Un petit oiseau s'élance
Plein de courage loin des foules.

Sous une falaise, à l'abri
Des fracassants, je suis bien.
J'apprivoise ma pauvre vie,
Lentement, hors des chemins.

De temps à autre, j'escalade
La paroi jusqu'au sommet
Pour observer la bourgade
Qui s'étend dans la vallée.

Vu d'ici les hommes sont calmes
Apaisés, au coin du feu.
Pourtant, ils effraient mon âme,
Épuisée de tout leurs jeux.

Seul parmi les sapins, je ressens une chaleur
Descendue droit du ciel pour réparer mon cœur.

Mécanisme brisé qui danse sans équilibre,
Se verra-t-il un jour égayé de revivre ?

mardi 25 février 2014

Au matin l'espoir...


Au matin l'espoir...



Où est le gardien, où le flambeau qui me guide ?
De mes paroles, vers mesurés, puis oubliés
Ne restent, tout seuls, que de grands fracas stupides.
Où le chemin, où donc les destins jadis liés ?

Ce n'est pas ce jeune vieil homme chancelant
Ni ces paumes toutes ouvertes, tendues avides ;
Quelque chose, plutôt, comme ces beaux bras blancs,
Comme le reflet vu dans tes grands yeux livides.

Grands yeux ! Ils sont clos, désormais, à tout jamais,
Barrière fermée, sur les champs de nos bonheurs
Manteau ramené, je dors dans leurs fossés – mais !
Regard furtif, regard volé – mémoires d'heures

Deçà les hautes herbes, derrière la cloison
Il me semble ici voir encore une jolie fleur.
Peut-être, quand reviendra la belle saison
Te retrouverai-je, escortée d'oiseaux flatteurs

Et, dans le ciel l'identique nouveau soleil
Éclairera les mêmes joies, les mêmes rires
Loin de la lampe qui peine, pâle, triste et vieille
Loin du grabat, loin des solitaires soupirs.


Jérôme, 25 février 2014

samedi 22 février 2014

Jet


L'homme des dernières montagnes, opuscule
descendant, lentement, sous le clair crépuscule,
vers les rivages du temps, sable des siècles en fumée
pas hésitant, trébuche, sur les rocs de ses mémoires
trop pesantes, trop lointaines pour que sa main les atteigne

C'est à genoux qu'il rampe, dans le sang des serpents,
dans le sang du doute, dans le sang de la peur
fleuve qui coule, remous de rage étoilée,
seule la lune est absente, seule elle a fui, sans pitié,
cette terrible nuit, lorsque mon âme, amenée
non loin d'ici, a croisé au détour d'un sentier
de verdure recouvert, l'esprit d'un ancien damné

qui m'a dit, tête haute, fixant de toutes ses orbites creuses
le firmament rouge et noir, les cimes écrasées
"toi, qui rampes, toi l'enfant des putains affreuses,
toi, le fils des souffrances, toi, la fille des vents
j'ai vu ta naissance, près de la flamme, près du foyer
près des joies mourantes, près des cadavres hurlants,
j'ai vu le signe sur ton front d'enfant, pur encore , noyé
de la bête qui ronge, de la bête qui crie au lucre ;
j'ai vu les corps révulsés, les chairs dévastées
criant dans la luxure, roulés dans le stupre"

Lentement lors j'ai senti les stigmates, stupeur
poussière j'étais, aux cendres je retournerai
le feu qui dévore ne vient ni d'ici, ni d'ailleurs
et ni l'eau, ni la terre, ne peuvent l'éteindre
et ni tes bras, ni tes rêves, ne peuvent m'étreindre
seulement, tu peux, fille des poètes, enfant des saisons,
regarder, dans le ciel, cette étoile qui file
sur la toile du ciel une jactée d'horizon
et peut-être pleurer la perte de cet asile
que tu n'as jamais eu ; ce fantôme sans tombe
tant et tant baisé, tant aimé, dans un lit de hêtre,
de fureur et de sang, dans les catacombes
d'espoirs d'amour effacés avant de naître

rien de nouveau sous les sombres soleils muscardins
sinon cette façon inédite d'arranger en mon jardin
de cadavres jonché les corps épars, un jeune écart
entre deux bras, entre deux cuisses ; rien que...

Rien que, mais ça n'est pas juste que...
ça n'est pas, petit ensanglanté, petit enragé,
ces gueules béantes, crachant la lave orangée
répandant l'enfer, jetant la houille et la suie
ça n'est pas ces noirs poumons d'acier matés
- voluptés, tes yeux suivant les envols volutés -
qui t'ont fait d'eau, de terre et d'amour
qui t'ont appris à jeter tes fers, à te lever pour
deux reflets de ciel fixés sur toi, deux mains
tendues vers les tiennes, deux lèvres, deux seins
qui ne demandaient qu'à hurler dans la joie
qui ne demandaient qu'à avoir foi en toi

Que, pauvre con, tu as jetés dans cet enfer
de pierre et de nuit, de chaînes et de fers
crois-tu que ceux qui viennent sous son cœur
naîtront sans crier dans ton usine-monde
que ceux qui verront le soleil des saveurs
de peau et de chair, de chants sans ondes
n'arracheront pas l'habit gris des nuages
pour y remettre le manteau sans âge
des rêves d'autrefois, des rêves laissés,
reviendront arrière, jadis, c'était assez
jaloux – tu ne savais pas monter encore,
des montagnes tu as brisé les grands corps
sans réussir à refaire autre chose, plus, moins
qu'un tas de briques, sans cime et sans neiges
d'où tu ne voyais ni les dieux ni... que sais-je ?..

ce que toi, aveugle, tu as vu derrière tes tours
d'acier, je n'en vois rien tout à l'entour
de ma tour d'ivoire, de mon grand oiseau argenté
un jour pourtant, je l'enfourcherai, et je m'en irai
vers le bout de la nuit, un soir, sans hésiter
et toi, aveugle, tu me verras pourtant mort
comme si les rêves se couchaient entre tes corps
comme si nous étions égaux dans le sort



 Jérôme, 22 février

dimanche 16 février 2014

Le Nord

Chaque voyageur l'a déjà vu.
Elle se tient, immense, sur le bord
De ce grand chemin vers le nord,
Accueuillant les marcheurs abattus.

Passez sa porte et vous verrez,
Tout un peuple autour du foyer.

Il y a celui qui regrette le sud,
L'insouciance du temps qui s'écoule,
Sur les paysages de quiétude
Qui bercent et protègent les foules.

À la fenêtre, on guette vers l'est,
Croyant apercevoir au loin,
Les grandes montagnes célèstes,
La tendre douceur des matins.

Lui, aussi, qui rêve de l'ouest,
Des ses mers déchainées, rageuses,
Qui sont toutes un destin funeste,
Une mort si aventureuse.

Tout ceux-là, bien loin de chez eux,
Rêvent de fuir la voie du Nord.
Le reflet du feu dans leurs yeux,
Ne peut cacher leur petite mort.

samedi 15 février 2014

Locomotiv

Un locomotive sans wagons
Émerge sur un quai désert.
Terminus, en face de la mer,
Des vagues et des nuages qui grondent.

Le feu de ses entrailles s'apaise,
Tisse un léger voile de fumée.
Mais s'éteint la dernière des braises,
Laissant la rosée retomber.

C'est l'aurore, le ciel est violet,
Comme ces fleurs des champs si banales.
Qui montrent aux rails leurs belles pétales,
Défiant les monstres d'acier.

La locomotive redémarre,
Pour foncer dans des villes hurlantes
Dévoré par une tourbière brûlante.
Par la compagnie des cauchemars.

Des fois, elle voudrait être fondue,
Pour être transformée en rail.
Pouvoir observer le détail,
D'une petite violette perdue.

vendredi 14 février 2014

Le vieil homme et la terre



Le vieil homme et la terre





La nuit brillait au-dehors lorsqu'il ouvrit les yeux. Elle était venue le caresser dans son lit, et de sa main lustrée elle avait cogné contre son cœur endormi, comme pour lui délivrer un message. Ce message, il le savait confusément, c'était l'appel des bois, et de l'air frais qui couvrait le plateau, et des odeurs qui étaient figées dans les rameaux des arbres.

Il se leva presque aussitôt, parce qu'il était trop vieux pour s'offrir le luxe de remettre au lendemain cet appel, et parce qu'il pressentait comme le bourgeon d'un espoir entre les silencieux murmures. Quelque chose en lui attendait depuis toujours un instant semblable à celui-ci, un de ces instants comme on peut n'en jamais croiser dans une vie entière, et il importait peu qu'il vienne, tardif, au crépuscule, puisqu'il pouvait jeter de la lumière aussi bien sur son passé que sur son présent. Rejetant de côté la couverture de laine, il enfila lentement le pantalon de toile usé, puis les hautes chaussettes, puis la chemise de coutil, où était inscrite, entre les taches et les accrocs, toute l'histoire des années de labeur – il aimait à porter franchement, sur sa poitrine, ce long récit.

Ses os craquèrent, comme une branche d'arbre sous le vent, quand il se redressa de toute sa haute taille, et ses cheveux gris frôlaient les poutres qui couraient au plafond. Il les enserra entre ses mains, larges et vigoureuses encore, pour sentir le souvenir de la sève, dans ces vaisseaux asséchés longtemps auparavant, et qui pourtant vivaient encore. Il se demandait si, lorsque ses os reposeraient dans la terre, il se souviendrait aussi du sang qui avait couru un temps en lui.

Aussitôt la porte franchie, il aspira longuement, avec délices, le souffle calme de la nuit. Il se sentait mieux d'avoir moins de son air d'humain en lui, et plus de cet air-là, noir et riche, qui roulait en fracas de tonnerre dans ses poumons, et il lui semblait que s'il pouvait n'être plein que de cela, il se fondrait dans la nuit, et comme elle il deviendrait invisible, infini et éternel, tournant folâtre autour du globe, portant en son sein le silence des sages et les étincelles qui dansent dans les yeux des jeunes filles.

En étendant la main droite, sans regarder, il toucha le bois de l'araire, qui dormait là, et il la sentit frémir dans son réveil – et elle aussi devait avoir reçu le message, car elle tendit aussitôt ses muscles noueux, pleine de bonne volonté et de l'envie d'aimer la terre en larges sillons noirs et gras.

« – Bonne bête... » et il la flatta du plat de la main, comme on flatte les naseaux d'un bel étalon, quand il hennit, plein de joie, vers l'horizon lointain.


Ils se mirent tous deux au travail, un travail fait de caresses qui passaient des mains de l'homme au soc d'acier noir, et du soc à la terre, qui s'entrouvrait en gémissant doucement. De cette façon, lentement et régulièrement, ils tracèrent sept sillons, chacun de cinquante pas de long, et c'étaient autant de sourires sous le regard pensif des étoiles. Le vieil homme, cependant, laissait ses bras faire le travail – ils le savaient mieux que lui –, et il tournait son regard là-haut, vers la forêt, plein d'espérance, car il avait entendu quelques saccades dans les trilles des rossignols, et deux ou trois fausses notes dans les halètements des arbres, et il savait que quelqu'un venait.

Tout à coup, il apparut (comme s'il avait déjà été là, depuis longtemps, et qu'il n'avait fait que se rendre visible), debout, au bout des sillons, à la lisière du champ, dressé majestueusement devant l'orée des bois. C'était une haute silhouette flottante, aux contours indécis, douce et profonde comme une ombre, et, à le voir, on sentait que cet homme-là s'était longtemps rempli de l'air de la nuit, et qu'il connaissait beaucoup de ses secrets.

Il marcha vers le vieillard, déployant à chaque pas toute l'étendue de sa grâce et de sa force, s'enfonçant à peine dans le sol puis remontant aussitôt, comme une frégate racée court sur les vagues, et, à le voir, le vieil homme sentait encore plus lourdement le poids de son âge et de sa peine.

Quandil ne fut plus qu'à quelques mètres, il s'arrêta, et, tout comme un navire fait feu de tous ses canons pour saluer le port, il lâcha les trente-deux bordées de son sourire. Sous le fracas de ce sourire, le monde se figea un instant ; la nuit, reconnaissant son enfant, se fendit d'une révérence ; les oiseaux brisèrent çà leurs chants ; et le vent lui-même s'arrêta un moment de courir, stupéfait.

Car son sourire, c'était... c'était le baume qui aurait soigné les plaies du soleil, c'était la caresse qui aurait apaisé l'océan ; c'était la joie de la nature, mystérieuse et compatissante, et, sous le feu de ce sourire, les peines du vieil homme se roulèrent en boule, tout au fond de ses entrailles, comme dans un terrier, et il se sentit libéré.

Élégamment, naturellement, il s'assit, là, dans la terre, laissant flotter tout autour de lui les larges plis de sa limousine bleue, et, par un ample geste, comme un prince ecclésiaste lourdement chargé de sagesse et de noblesse, il invita le vieil homme à s'asseoir à côté de lui.

Il savait qu'il y avait grand besoin de remèdes, et tout comme un médecin ne perd pas de temps lorsqu'il voit la plaie béante, il entama un chant, avec les mots qui soignent. Cela commença ainsi, et il prenait familièrement l'univers à témoin, avec de grandes caresses vagues vers l'infini étoilé :

« Vois-tu, dans le ciel, lorsque vient le matin, l'aube s'ouvre à l'est, comme une grande fleur rouge, et elle étend lentement, comme une femme se dénude, ses corolles de lumière, jusqu'à en avoir empli notre monde. Puis, au soir, l'horizon, fatigué de sa longue marche en avant, trébuche dans le crépuscule, et le sang rouge du monde flotte à l'ouest, puis vient la nuit. Ainsi coulent les jours, et la terre le sait jusqu'au plus profond de sa chair. »

Il dit, et il s'arrête, pour laisser les mots sortis de sa bouche rouler jusqu'aux oreilles du vieil homme, et tremper son âme, comme on trempe dans l'eau fraîche un morceau de bois sec, afin de pouvoir le tendre, et en faire cet arc dont les flèches bondiront par-dessus toute l'étendue des plaines où danse l'herbe jaune.

« Tu dois te dire que je te répète là bien des choses que tu sais ; mais si tu les sais, tu ne les as pas souvent encore regardées de près, et tu jettes ton regard en-dehors, depuis le jour de ta naissance, avant que d'avoir compris les choses et les êtres qui s'agitent en toi, et de là viennent le manque et le malheur, reprit-il. Tu me diras encore que ce n'est pas en toi que se lève le soleil et se meurt le jour ; mais moi, je te dis que cela est en toi, comme l'est la marche des astres dans les cieux lointains. Il n'y a pas d'ancre au vaisseau de tes rêves, et il a vogué silencieux jusqu'au toit de l'univers, afin de parsemer la nuit de ses feux étoilés. »

« Dans les paroles que je jette au vent, il n'y a que peu de vérités ; mais les vérités, vieil homme, sont enfants de la terrible raison, et nulle joie ne naît de leur dispendieux étalage. Leur chemin est un sentier bardé d'épines, entrelacé de dards venimeux, et menant à l'abîme ; il est une autre voie, qui est celle des illusions et des contemplations infinies, plus douce et plus sûre. Mais il te faut comprendre que tout cela réside et demeure dans les temps de silence entre les mots. Tends l'oreille et surtout, entends-moi sans trop m'écouter, peut-être me comprendras-tu. »

« Il y a longtemps, j'ai reçu la visite d'une Dame, une de celles qui dansent sur les cordes du Temps et chantent la matière. J'étais alors ce jeune fou qui soupire après les bonheurs du roc, rêvant à toute force d'être pour lui-même un refuge de pierre, récif sur lequel se briseraient impuissantes les vagues des siècles. Je hantais une sépulture de bois résineux, où j'avais soigneusement enterré mes brasiers de jeunesse, et j'errais de tombe en tombe, inconsolable, les doigts crispés sur l'air innocent, en quête d'un coupable ou d'un juge. »

« Elle est venue, et elle n'était ni l'un, ni l'autre – elle était le bois souple qui se redresse derrière les tempêtes, elle était la résurrection des morts sur cette terre, elle était encore l'espoir et la poussière en tourbillons dans les rayons de lune. Sa main sur ma nuque, requête et récompense en un geste solitaire, j'ai tressé des crins jour et nuit, agenouillé dans la glaise tiède, au milieu des odeurs folâtres des amours et des saisons, voluptueuses violettes, astrale pureté du thym, larmes de déesse sur les brins frêles de l'hellébore ; j'ai dans ces cordes tendues caché mon orgueil et mon grand rêve, pour qu'on ne puisse jamais plus me les arracher. Au sixième jour de mon travail, j'ai relevé la tête (midi dardait alors son heure de feu dans toutes les ordonnées) et j'ai vu une jeune femme, debout à quelques pas de moi, fixe – dans ses yeux flamboyait une épée sombre, forgée avec toute la haine des hommes. C'est alors que j'ai connu le prix de ma rédemption – méprisante jalousie dans les regards, que mon âme leur reste irrêvée, invisible à tous, puis les lectures par milliers erronées de mon cœur (ils parlent contre moi de vanité, car ils ont toujours vécu au milieu des chiens, et les volitions du grand loup solitaire leurs sont inconnues) ; crois-tu, toi, que le grand loup solitaire hurle à la lune pour être entendu des autres ? Ne savez-vous donc pas qu'il n'y a là que son tête-à-tête avec l'immatériel, et que vous ne recevez de sa grande dispute que de faibles échos ? »

« Il a fallu ensuite un long travail, et m'entourer de maints compagnons – j'ai convoqué la joie rugissante, la sagesse sauvage de l'ermite allemand, le toucher furieux et doux des amants, et, enjambant les vallons, les collines, traversant les forêts, allant à travers les plaines où règne le mistral, j'ai cueilli des saveurs tout au long du voyage, ramassant celles trop discrètes, ignorées et laissées pour compte dans les fossés, mon œil incessamment dardant ses regards vers les haies d’aubépines qui flanquaient le sentier. »

Tirant de sous sa large houppelande une fine cithare, dans le ventre de laquelle s'agitaient des souffles de tempête et des sifflements d'alizés, il se mit à en pincer les cordes, et ses doigts entamèrent une danse, lingham d'ardentes nuées où roulaient l'Univers, la naissance des choses, leur fin et leur éternel recommencement. Ici l’œuvre des mots prend fin, car il n'est pas en eux de puissance suffisante pour exprimer le tonnerre, s'il se décidait subitement à emprunter la voix claire d'une vierge.

Toujours est-il qu'à l'aube, le vieil homme rendit l'âme, et que, son dernier soupir exhalé, alors que la brise emportait encore au loin quelques notes cristallines, ses lèvres froides se figèrent en un immortel sourire. L'Errant, se relevant, ferma les yeux du défunt, afin que nul ne puisse y voir le reflet de Son passage. Puis, enfilant sa démarche légère, respirant à pleins poumons l'odeur des longues traversées, il se remit en route vers l'Est, après avoir un temps interrogé du regard le lever héraldique du soleil. Derrière lui, souriant toujours, le corps du vieillard reposait, paisible, comme plongé dans un long et profond sommeil.



Jérôme, 14 février 2014

mardi 11 février 2014

Outremer



Outremer



Passent les jours comme autant de soupirs
Voiles déployées proues tendues vers l'horizon
Sur la houle mer agitée des souvenirs
Flottent les épaves de mes idéaux brisés
Carènes disloquées radeaux de naufragés
Passent les jours encore je rêve l'amour

Loin de mon ciel noir ont fui les rieuses mouettes
Nuages d'orages complaintes en tempête
Fades lueurs brillent sur le soir de mes douleurs
Las, le dernier phare s'est éteint dans mon cœur
Inlassable, la mer étend ses repos frangés d'écume
Et mes regards jetés se perdent dans la brume

Hier encore je croyais à tes sables apaisés
Repos lascifs de tes bras loin des alizés
Aux vallées sous les soleils de ton sourire
Aux forêts où vole libre l'oiseau de ton rire
À tes yeux paisibles comme un dernier rivage
Aux promesses dans les plaines de ton visage

Déçu je reste çà errant sous les cieux épuisés
Vaisseau fantôme de mon cœur désabusé

Hisse tes mats nus, serre le vent de l'espoir !
Noyé le jour noyé l'amour noyée la gloire
Toutes voiles dehors vers les récifs de l'infini
Où règne invaincu le silence des froids caveaux
Vers ce pays dont jadis la nuit m'a parlé
Où paraît-il la terre est un grand calme étoilé




Jérôme, 11 février 2014

samedi 8 février 2014

Le Tombeau d'Arya, II (Anathème)



Le Tombeau d'Arya, II (Anathème)



I

Pourquoi, pourquoi m'avoir jeté dans ton fleuve
Dont les gouttes sont nos fugaces jours en armes,
Où roulent les siècles par vagues de larmes ?
Réponds – est-ce là de notre destin l'épreuve ?

Je croyais que le frémissement de son cœur
Était le souffle calme et indolent du monde !
Que pour mirer son visage seule coulait l'onde
Qu'elle régnait sur les êtres frappés de stupeur

Que sur elle glissaient jusqu'aux lourdes Heures
Je croyais que son rire donnait à la nature
La note du bois, du frêne la fine stature !
Il ne bat plus, elle ne rit plus – mais, ô douleur !

Ton ciel n'étale pas moins d'azur en son été
L'horloge frappe encore ses heures moroses
Comme si les siècles ne devaient pas s'arrêter
Lorsque ses paupières se sont à jamais closes !


II

À genoux sur sa tombe, inconsolable je pleure
Et pourtant autour de moi insouciantes les fleurs
Exhalent encore des mots d'amour et de joie
Ton aurore n'étend pas moins ses orbes de soie !

Ne jettes-tu parmi nous pareilles splendeurs
Que pour en ôter quelque jour les couleurs,
Que pour qu'un soir nos cœurs se pâment ?
Qu'as-tu fait, ô Seigneur, de sa grande et belle âme ?

Dis-moi, au moins, qu'elle en a une !.. qu'elle survit !
Que je n'oublierai pas mon rêve à la nuit,
Ni l'éclat de ses yeux dorés de merveilles
Qu'elle n'est pas ce songe que fuit l'éveil !

L'oiseau ne s'envole-t-il pas vers d'autres cieux
Que pour y aller chercher la flamme de ses yeux ?
Les sommeils seraient-ils sinon, furieuses fièvres,
Pour y pouvoir rêver les astres de ses lèvres ?


III

À quoi bon – à quoi bon le souffle de la brise
S'il n'affole plus tes mille mèches rebelles ?
À quoi bon – à quoi bon la nuit qui s'irise
S'il n'y a plus tes baisers pour la faire immortelle ?

Encore, sur la berge de notre lac, chante
Le rossignol qui – t'en souvient-il, mon amante ? -
Égayait nos nuits de ses romances oubliées
Tandis que fuyaient nos vies que nous croyions liées !

Le sauras-tu ? Loin de ton sourire tes roses
Fleurissent encore ! Indolentes, elles éclosent
Lors même que tu t'en es à jamais allée,
Lors même que tu t'es vers d'autres cieux envolée !

Ce n'est que dans les jardins fanés de mon âme
Que germe le népenthès et que se pâme
La ciguë fatale, entre les tombes de mes rêves
Que devant ton souvenir ma mort se lève !


IV

À ton noir archange, Seigneur,
Compte un grand vol ! Sous son aile
Il y a place pour moi et elle !
Emporte-moi dans ma douleur !

Ne laisse pas du temps les vagues
Mille fois retourner la dague
En un cœur qui ne frémit plus
De son souvenir – mon salut !

Jusqu'à ce qu'un jour triste et noir
Ses traits se perdent en ma mémoire
Jusqu'à ce qu'il ne me reste rien
Que les brumes d'un songe aërien !


V

Océan du temps qui efface son visage,
Ton secret est-il de n'avoir nul rivage ?
Quoi !.. faudra-t-il donc qu'éternellement je sombre,
Qu'à jamais me hante son absence et son ombre ?

Es-Tu ? Nulle part ne s'embrase Ta flamme !
Ton ciel, Ton regard, est si paisible et si calme !

Va-t'en lors – son souvenir sera mon seul dieu -
Et je n'expirerai que pour monter à ses cieux !
Plus que toi, je l'ai faite irréelle immortelle
Et ta lumière n'a pas le feu de ses prunelles !





Jérôme, 8 décembre 2013.