samedi 22 février 2014

Jet


L'homme des dernières montagnes, opuscule
descendant, lentement, sous le clair crépuscule,
vers les rivages du temps, sable des siècles en fumée
pas hésitant, trébuche, sur les rocs de ses mémoires
trop pesantes, trop lointaines pour que sa main les atteigne

C'est à genoux qu'il rampe, dans le sang des serpents,
dans le sang du doute, dans le sang de la peur
fleuve qui coule, remous de rage étoilée,
seule la lune est absente, seule elle a fui, sans pitié,
cette terrible nuit, lorsque mon âme, amenée
non loin d'ici, a croisé au détour d'un sentier
de verdure recouvert, l'esprit d'un ancien damné

qui m'a dit, tête haute, fixant de toutes ses orbites creuses
le firmament rouge et noir, les cimes écrasées
"toi, qui rampes, toi l'enfant des putains affreuses,
toi, le fils des souffrances, toi, la fille des vents
j'ai vu ta naissance, près de la flamme, près du foyer
près des joies mourantes, près des cadavres hurlants,
j'ai vu le signe sur ton front d'enfant, pur encore , noyé
de la bête qui ronge, de la bête qui crie au lucre ;
j'ai vu les corps révulsés, les chairs dévastées
criant dans la luxure, roulés dans le stupre"

Lentement lors j'ai senti les stigmates, stupeur
poussière j'étais, aux cendres je retournerai
le feu qui dévore ne vient ni d'ici, ni d'ailleurs
et ni l'eau, ni la terre, ne peuvent l'éteindre
et ni tes bras, ni tes rêves, ne peuvent m'étreindre
seulement, tu peux, fille des poètes, enfant des saisons,
regarder, dans le ciel, cette étoile qui file
sur la toile du ciel une jactée d'horizon
et peut-être pleurer la perte de cet asile
que tu n'as jamais eu ; ce fantôme sans tombe
tant et tant baisé, tant aimé, dans un lit de hêtre,
de fureur et de sang, dans les catacombes
d'espoirs d'amour effacés avant de naître

rien de nouveau sous les sombres soleils muscardins
sinon cette façon inédite d'arranger en mon jardin
de cadavres jonché les corps épars, un jeune écart
entre deux bras, entre deux cuisses ; rien que...

Rien que, mais ça n'est pas juste que...
ça n'est pas, petit ensanglanté, petit enragé,
ces gueules béantes, crachant la lave orangée
répandant l'enfer, jetant la houille et la suie
ça n'est pas ces noirs poumons d'acier matés
- voluptés, tes yeux suivant les envols volutés -
qui t'ont fait d'eau, de terre et d'amour
qui t'ont appris à jeter tes fers, à te lever pour
deux reflets de ciel fixés sur toi, deux mains
tendues vers les tiennes, deux lèvres, deux seins
qui ne demandaient qu'à hurler dans la joie
qui ne demandaient qu'à avoir foi en toi

Que, pauvre con, tu as jetés dans cet enfer
de pierre et de nuit, de chaînes et de fers
crois-tu que ceux qui viennent sous son cœur
naîtront sans crier dans ton usine-monde
que ceux qui verront le soleil des saveurs
de peau et de chair, de chants sans ondes
n'arracheront pas l'habit gris des nuages
pour y remettre le manteau sans âge
des rêves d'autrefois, des rêves laissés,
reviendront arrière, jadis, c'était assez
jaloux – tu ne savais pas monter encore,
des montagnes tu as brisé les grands corps
sans réussir à refaire autre chose, plus, moins
qu'un tas de briques, sans cime et sans neiges
d'où tu ne voyais ni les dieux ni... que sais-je ?..

ce que toi, aveugle, tu as vu derrière tes tours
d'acier, je n'en vois rien tout à l'entour
de ma tour d'ivoire, de mon grand oiseau argenté
un jour pourtant, je l'enfourcherai, et je m'en irai
vers le bout de la nuit, un soir, sans hésiter
et toi, aveugle, tu me verras pourtant mort
comme si les rêves se couchaient entre tes corps
comme si nous étions égaux dans le sort



 Jérôme, 22 février

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