jeudi 12 juin 2014

Contes Musicaux - sur Symphony n°4 (op. 36), Piotr Illitch Tchaikovskï


Il y a là une grande forêt où flottent des paroles, lourdes de sens et surprenantes, torrentielles et inaudibles à travers le vacarme de leur multitude. Un jeune regard les interroge, un regard grave comme les yeux d'une tombe, mais si jeune !.. si jeune que la tempête ne s'est pas encore calmée, qui gronde en lui, venue, venue d'avant !.. si jeune que la tempête qui gronde et fait rage au-dehors, venant tout droit des profondeurs immenses de la forêt – qui s'étend à perte de vue – ne lui fait pas peur. Il ne sait pas, ce jeune regard, ce que c'est que la mort ; et peut-être, protégé de toutes parts par les remparts que lui fait son ignorance, pourra-t-il ne jamais mourir.

Il fixe le vent, curieux. Qu'est-ce que cette colère qui se déchaîne dans l'air, cette soudaine fureur du vent ? Est-ce parce qu'il aime tant les vieux arbres majestueux qu'il les ploie jusqu'à les briser presque ? Nadiaïevna, la fille de la vieille femme, est avec lui comme ce vent est avec les hauts sapins mélancoliques, et lui aussi est comme ces rameaux qui se tournent et se retournent en tous sens en gémissant, girouettes soumises aux forces de la grande colère qu'est le vent. Il lui dira, à Nadia, il lui dira. Il sait maintenant la raison des cris et des coups, des haines et des larmes. C'est – et en cet instant le jeune regard se sent toucher le fond, les soubassements du monde qui l'a toujours entouré et qui lui a toujours échappé – c'est que tous s'aiment, mais ne peuvent se fondre l'un en l'autre, et le dépit qui naît de l'amour insatisfait, c'est cela, et cela seul, qui engendre la colère et la douleur. Il ouvrira ses petits bras et ses grands yeux, donc, à Nadia, et elle se calmera, et elle cessera les coups et les hurlements tout le long du jour, hurlements que l'habitude a si bien dénués de sens qu'ils ne sonnent plus que comme une longue et vague mélopée, une sorte de tradition, la vie dans ces cœurs frustrés et jetés les uns vers les autres.

Soudain, jailli des ombres et plus noir qu'elle, sorti du vent et plus furieux que lui, un grand corbeau noir, presque plus grand, avec ses ailes étendues, que l'enfant, vient s'abattre, en un grand fracas de plumes, dans la neige à ses pieds. Il ne bouge plus, et très vite, la neige commence à le recouvrir. Surpris, le jeune regard se penche sur l'oiseau si subitement immobile. Des faisceaux de pensées caressées, entrevues, pas même exprimées, se meuvent derrière les grands yeux. Il a le pressentiment de s'être trompé, et que peut-être c'est dans le grand fracas des plumes et le silence qui a suivi qu'est le mystère et la raison des cris et des coups, des colères et des chagrins, et des stridentes mélopées de Nadia. Il ne sait pas, il ne sait plus. Il reste là, il fixe le ciel, et cette fois-ci il a peur, une peur sans fondement ni but, qui se contente, sans se dévoiler, de sourdre lentement au fond de lui-même. Il ne bouge plus ; mais il est devenu mortel, et le vent et la grande forêt ne le reconnaissent plus, ni le froid, qui s'attaque à lui – le froid qu'il aimait tant !.. et il fuit vers les maisons et le village, et vers les cris de Nadia, qui maintenant l'effraient moins que la grande forêt et la fureur de l'air qui se jette à bras-le-corps sur les arbres et sur le sol, et qu'il ne comprend pas... qu'il ne comprend plus...

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