Mikhail
Daseltof était né dans les profondeurs glacées de la Russie, dans
la petite ville de Tromsk. D'ailleurs, le lieu de sa naissance
n'avait que peu d'importance ; qu'elle ait débuté dans des
royaumes mystérieux, dans des contrées féeriques, ou dans les
cités immenses et surpeuplées, dans ces œucumènes devenus des
autels du Progrès, sa destinée eût été la même. Il était de
ces êtres qui portent, sous le front, invisible mais pressentie, une
marque distinctive devant laquelle les circonstances et les hommes
fléchissent.
Toute
son enfance durant, il avait été vu comme un enfant introverti,
insensible presque. Peu sociable, rêveur, il ne laissait guère
prise aux émotions, ou plutôt n'y paraissait jamais. Lui
adressait-on la parole, il répondait, toujours vaguement, en fixant
du regard, derrière vous, un quelque chose imprécis, vers quoi
toutes ses forces semblaient tendre ; malgré qu'il fut sage et
travailleur, intelligent, doué même, ses parents, au fond de leurs
cœurs, ne parvenaient pas à l'aimer, à cause de cela même – il
est de ces regards qui, lorsqu'on les aperçoit, nous font
frissonner, sans que nous ne voulions l'avouer ou ne puissions
l'expliquer. Doté, en réalité, sous cette affectation de marbre,
d'une sensiblerie extrêmement profonde, et son silence n'étant que
la seule réaction possible devant un monde dont il voyait, sans le
comprendre, l'effroyable illogisme, il sentait cela, malgré leurs
factices bienveillances.
Le
lendemain de ses onze ans, alors qu'il marchait, pensif, dans le
jardin qui s'étendait à l'arrière de sa maison, laissant dans la
neige de petites empreintes au tracé incohérent, signe d'une
profonde réflexion, où les jambes, laissées à elles-même,
avaient pris des directions aléatoires, quiconque l'eût vu eût pu
déceler dans ses yeux, très sombres, une pensée des plus
intenses : ce petit bout d'homme s'apprêtait à prendre une
décision, tout à coup arrêté net dans la pose immortelle d'un
Renan. Cela dura quelques instants, puis, tout à coup, un éclair
vif traversa ce regard acéré et froid, et, après avoir tourné son
visage vers le ciel, comme pour le prendre à témoin, il s'en
retourna vers chez lui.
À
compter de ce moment, il devint, brusquement et sans aucune raison,
l'être le plus affable et le plus apprécié qu'on puisse imaginer.
Tout à coup plein de prévenances pour ses camarades, joueur,
enfantin en un mot, étalant un irrésistible charisme devant tout un
chacun, séducteur même, faisant preuve dans la mesure nécessaire
de ce bon sens un peu sot que nous aimons à trouver chez les autres,
parce que nous ne nous en sommes jamais débarrassés nous-mêmes, il
fut en peu de temps aimé et populaire. À douze ans, il régnait en
maître, de façon insensible et délicate, sur un large cercle de
jeunes gens et de jeunes filles.
Cela
dura jusqu'à sa sortie du collège, pour l'université, à seize
ans. Il disparut alors subitement. Ses parents n'eurent jamais plus
aucune nouvelle de lui ; il ne garda le contact avec aucun de
ses anciens amis ; une jeune fille avec laquelle il entretenait
une relation, qui du point de vue de cette naïve créature,
présentait toutes les formes d'un grand amour partagé, n'eut pas
même l'aumône d'un mot d'adieu. Il avait, par des moyens inconnus,
réussi à rassembler une petite somme d'argent, et, alors qu'il
partait en apparence pour Moscou, il s'était embarqué sur un vol
pour les États-Unis, muni de faux papiers qu'il avait achetés
depuis un certain temps – comment un adolescent de son âge
avait-il pu... ? Mystère.
(À suivre)
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